Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6655

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 21-22).

6655. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].
7 janvier.

Comme nous ne voulons rien faire, mon très-cher ange, sans vous en donner avis, nous vous communiquons, Mme Denis et moi, le nouveau mémoire que nous sommes obligés d’envoyer à monsieur le vice-chancelier, fondé sur une lettre dans laquelle on nous avertit que des personnes[2] pleines de bonté ont daigné lui recommander cette malheureuse affaire.

Le mémoire, dont ces personnes ont ordonné qu’on nous fît part, alléguait des faits dont elles ne pouvaient être instruites. Ce mémoire se trouvait en contradiction avec les nôtres, et avec le procès-verbal. Vous voyez, mon divin ange, que nous sommes dans l’obligation indispensable d’exposer le fait tel qu’il est, et de requérir que monsieur le vice-chancelier daigne se procurer les informations que nous demandons. Nous sommes si innocents que nous sommes en droit de demander justice au lieu de grâce. Nous passerions pour être évidemment complices de la Doiret, si nous l’avions connue.

Nous vous supplions de vouloir bien vous intéresser à l’autre affaire[3] que nous avons recommandée à vos bontés auprès de M. de La Reynière, le fermier général.

Venons à des choses plus agréables. On ne pouvait guère, dans l’état de crise où la république de Genève et moi nous nous trouvons par hasard, imprimer correctement les Scythes ; nous vous enverrons incessamment des exemplaires plus honnêtes. J’ai essuyé de bien cruelles afflictions en ma vie. Le baume de Fier-à-bras, que j’ai appliqué sur mes blessures, a toujours été de chercher à m’égayer. Rien ne m’a paru si gai que mon épître dédicatoire. Je ne sais pas si elle aura plu, mais elle m’a fait rire dans le temps que j’étais au désespoir.

J’avais promis à M. le chevalier de Beauteville d’aller lui rendre sa visite à Soleure, et d’aller de là passer le carnaval chez l’électeur palatin et arranger mes petites affaires avec M. le duc de Wurtemberg ; mais mon quart d’apoplexie et une complication de petits maux assez honnêtes me forcent à rester dans mon lit, où j’attends patiemment la nombreuse armée de cinq à six cents hommes qui va faire semblant d’investir Genève. L’état-major n’investira que Ferney ; il croira s’y amuser, et il n’y trouvera que tristesse, malgré le moment de gaieté que j’ai eu dans mon épître dédicatoire, et dans ma préface contre Duchesne[4].

Je pense qu’on ne saurait donner trop tôt les Scythes ; il ne s’agit que de trouver un vieillard. La représentation de cette pièce ferait au moins diversion : cette diversion est si absolument nécessaire qu’il faut que la pièce soit jouée ou lue.

Adieu, mon aimable et très-cher ange ; je me mets aux pieds de Mme d’Argental ; j’ai bien peur qu’elle ne soit affligée.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. D’Argental
  3. Le renvoi de Janin.
  4. Voyez à la fin des Scythes, l’Avis au lecteur.