Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6686

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6686. — À M. LE CHEVALIER DE BEAUTEVILLE.
À Ferney, 19 janvier au soir.

Monsieur, je ne vous demande pas pardon de mon ignorance, mais de ma sottise ; heureusement Votre Excellence est indulgente et remplie de bontés. J’avais imaginé que je pourrais, lorsque la saison serait moins cruelle, venir vous faire ma cour à Soleure, et aller ensuite arranger mes petites affaires avec Sa très-dérangée Altesse le duc de Wurtemberg. Je croyais que messieurs les trésoriers des lignes, qui font quelquefois toucher de l’argent à Bâle, pourraient accepter la petite négociation que je proposais, le receveur du duc à Montbéliard m’ayant assuré qu’ils payeraient sans difficulté. Je trouve actuellement un correspondant à Neuchâtel qui me fera mes remises. Je ne puis remercier assez Votre Excellence de ses offres généreuses. M. Hennin ne nous a donné qu’un passe-port signé de lui pour le commissionnaire qui porte nos lettres. J’avoue que nous avons mangé aujourd’hui des soles aussi fraîches que si elles avaient été pêchées ce matin ; mais, par Apicius, ce n’est pas à M. Hennin que nous en avons l’obligation. Nous manquons précisément de tout ; nous n’avons autour de nous que des neiges. La voiture publique de Lyon n’arrive plus ; nous sommes bloqués, nous sommes les seuls qui souffrons. Les officiers qui nous assiègent en conviennent. J’ai pris la liberté d’en écrire un mot à M. le duc de Choiseul[1], et beaucoup de mots à MM. Dubois et de Bournonville[2] ; il est très-certain que les Genevois peuvent faire venir tout ce qu’ils veulent par la Savoie, par Milan, par la Suisse, par le Valais ; qu’ils peuvent manger des gelinottes, et de tout, excepté des soles. Ils ont de bon sucre, de bon café, de bonne bougie, et moi rien, tout comme Fréron[3]. La guerre et les neiges finiront quand il plaira à Dieu.

À l’égard de la petite affaire[4] à laquelle Votre Excellence a daigné s’intéresser, je laisse agir ceux qui en sont les auteurs. J’ai l’honneur d’être, avec un profond respect et un attachement inviolable, monsieur, de Votre Excellence le très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.

  1. Lettre 6662.
  2. Ces deux lettres manquent.
  3. Dans l’Écossaise, acte I, scène i ; voyez, tome V, page 421.
  4. L’affaire Le Jeune ou Doiret.