Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6698

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 69-70).
6698. — À M. HENNIN.
À Ferney, 28 janvier.

M. de Taulès faisait tenir mes lettres à M. Thomas. J’espère, mon cher amateur des arts, que vous aurez la même bonté. Il faut épargner, autant qu’on peut, les ports de lettres aux vrais gens de lettres. M. Thomas l’est, car il a les plus grands talents, et il est pauvre. Tout Paris est enchanté de son discours[1] et de son poëme[2]. Je vous supplie de lui faire parvenir ma lettre[3] sans qu’il lui en coûte rien. Je n’ose l’affranchir, et je ne veux pas qu’un vain compliment lui coûte de l’argent. Je vous serai très-obligé de me rendre ce petit service.

Vous devriez bien, monsieur, représenter fortement à M. le duc de Choiseul l’abondance où nage Genève, et le déplorable état où le pays de Gex est réduit. Comptez que, dans ce pays de Gex, personne ne souffre plus que nous. Plus la maison est grosse, plus la disette est grande. Nous n’avons d’autre ressource que Genève pour tous les besoins de la vie ; les neiges ont bouché les chemins de la Franche-Comté, les voitures publiques n’arrivent plus de Lyon ; nous n’avons aucune provision, aucun secours. Daumart[4], paralytique depuis sept ans, ne peut avoir un emplâtre ; l’abbé Adam se meurt, et ne peut avoir ni médecin ni médecine.

Je quitterai le pays dès que je pourrai remuer, et j’irai mourir ailleurs.

Je ne vous en suis pas moins tendrement attaché. V.

  1. De réception à l’Académie.
  2. Sur Pierre le Grand.
  3. Elle manque.
  4. Arrière-cousin maternel de Voltaire.