Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6709

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6709. — À M. LE CONTROLEUR GÉNÉRAL[1].
(1767.)

Monsieur le contrôleur général[2], s’il fallait, en France, pensionner tous les hommes de talent, ce serait, je le sais, pour vos finances, une plaie bien honorable, mais bien désastreuse, et le trésor n’y pourrait suffire ; aussi, et quoique peu d’hommes puissent se rencontrer d’un aussi solide mérite que M. de La Harpe, ne viens-je pas réclamer une pension pour ce mérite dans l’indigence ; je viens seulement, monsieur, empiéter sur vos attributions et contrôler le chiffre de 2,000 livres dont Sa Majesté a bien voulu me gratifier. Il me semble que M. de La Harpe n’ayant pas de pension, la mienne est trop forte de moitié, et qu’on doit la partager entre lui et moi.

Je vous aurai donc, monsieur, une dernière reconnaissance si vous voulez bien sanctionner cet arrangement et faire expédier à M. de La Harpe le brevet de la pension de 1,000 livres, sans lui faire savoir que je suis pour quelque chose dans cet événement. Il sera aisément persuadé, ainsi que tout le monde, que cette pension est une juste récompense des services qu’il a rendus à la littérature[3].

Daignez, monsieur le contrôleur général, accepter d’avance mes remerciements et croire au profond respect de votre très-humble et très‑obéissant serviteur.

Arouet de Voltaire,
gentilhomme ordinaire de la chambre du roi.

  1. Extraite du Temps, 26 mai 1834. L’origine de cette lettre paraît douteuse à MM. de Cayrol et François (deuxième Suppl., tome II, page 561). Elle a été reproduite comme trouvée récemment dans la boutique d’un épicier, par le Monde llustré du 9 mai 1863.
  2. Laverdy.
  3. Dans la lettre à d’Alembert du 10 août 1767, quelques mots sembleraient confirmer cette démarche, qui n’aboutit pas. « Je ne ris point, dit Voltaire à d’Alembert, quand on me dit qu’on ne paye point vos pensions ; cela me fait trembler pour une petite démarche que j’ai faite auprès de M. le contrôleur général en faveur de M. de La Harpe ; je vois bien que, s’il fait une petite fortune, il ne la devra jamais qu’à lui-même. »