Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6715

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6715. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL#1.
À Ferney, ce 3 février.

Raccommodons-nous, madame, car je vous aime de tout mon cœur, et je me flatte de votre amitié. Vous pardonnez sans doute à mon oncle et à moi nos inquiétudes ; vous sentez combien il m’était cruel de le voir partir après une espèce d’attaque d’apoplexie. Ses paquets ont été prêts pendant un mois entier, et où serait-il allé à travers dix pieds de neige qui couvrent le sommet de toutes nos montagnes ? On nous faisait trembler de tous les côtés. Il avait été quinze jours entiers sans recevoir aucune nouvelle de chez vous, que de la part de Le Jeune. Nous savions, à n’en pouvoir douter, que les deux conseillers d’État du bureau étaient absolument contre nous, et surtout le président. Ce qui s’est passé à Nancy#2 redoublait encore nos alarmes ; la prêtraille de notre canton ne servait assurément pas à nous consoler ni à nous rassurer. Il est difficile de se trouver dans une situation plus cruelle.

Mais après la victoire que nous vous devons, il est inutile de parler des dangers qu’on a courus ; il ne faut plus songer qu’aux Scythes. Mon oncle y a fait tout ce qu’il a pu. Il n’y a qu’une voix ici parmi ceux qui les ont lus et qui en ont vu les répétitions. Nous sommes tous très-contents. Nous pouvons nous tromper ; mais aussi nous devons espérer que ce qui fait une grande impression sur plusieurs esprits d’une trempe différente produira le même effet sur le public.

Il m’a paru surtout, madame, que mon oncle avait profité de toutes vos remarques ; elles m’ont paru aussi judicieuses qu’à lui. Vous connaissez sa docilité pour ses anges, ainsi que son tendre attachement. Je partage depuis longtemps ses sentiments pour vous. Vous êtes aimés ici comme vous devez l’être. Il n’y a point de jours où nous ne cherchions à nous consoler d’un si triste éloignement par le plaisir de parler ensemble des deux personnes à qui nous sommes les plus dévoués, et dont les bontés font le charme de notre vie.

Denis
[1][2]
  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. L’arrestation de Le Clerc.