Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6838

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 211-212).
6838. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 13 avril.

Je reçois, mon cher Cicéron, votre lettre non datée, avec le procès-verbal de la célèbre servante[1]. Je vais répondre à tous vos articles.

Je ne crois pas qu’il m’appartienne de parler dans ma lettre de la conduite du parlement de Toulouse. J’ai voulu et j’ai su me borner aux faits dont je suis témoin. C’est à vous qu’il sied bien de faire voir l’outrage que le parlement de Toulouse a fait au conseil, en refusant d’exécuter son arrêt. Ce que vous en dites est d’autant plus fort que vous l’avez dit avec le ménagement convenable. Le conseil a senti tout ce que vous n’avez pas exprimé. Il y a des cas où l’on doit plus faire entendre qu’on n’en dit, et c’est un des grands mérites de votre mémoire : c’est ce qui pourra surtout ramener M. d’Aguesseau, qui n’aime pas l’éloquence violente.

J’ai eu mes raisons dans tout ce que je vous ai écrit. Si j’ai le bonheur de vous tenir à Ferney, vous apprendrez à connaître mes voisins. La grandeur d’âme est dans le pays conquis autrefois par Gengis-kan[2].

Je ne peux faire signer votre mémoire par les Sirven que quand il me sera parvenu. Je vous ai déjà mandé[3] que toute communication était interrompue entre Lyon et mon malheureux pays.

Si vous trouvez que ma lettre puisse être bien reçue du public, telle que je l’ai envoyée en dernier lieu à M. Damilaville, ôtez les mots : consigné entre vos mains ; et mettez : l’argent qu’on leur offrait pour leur honoraire ; mettez : le conseil de Berne, au lieu de Berne ; le conseil de Genève, au lieu de Genève[4] ; et tout sera dans la plus grande exactitude. Il faut rendre à chacun selon ses œuvres, et Mme la duchesse d’Enville et Mme Geoffrin ne doivent pas être frustrées des éloges dus à leur générosité.

Quant à M. Coqueley[5], il est très-sûr qu’il a eu le malheur d’être l’approbateur de Fréron : c’est être le receleur de Cartouche. Mais on dit qu’il a abdiqué depuis longtemps un emploi si odieux et si indigne d’un avocat. On m’assure que c’est un nommé d’Albaret qui lui a succédé, et qui a été réformé ; si cela est, je transporte authentiquement à d’Albaret, et par-devant notaire s’il le faut, l’horreur et le mépris qu’un approbateur de Fréron mérite ; mais je ne transporterai jamais mon estime et ma tendre amitié pour vous a qui que ce soit dans le monde. Je vous garde ces deux sentiments pour jamais.

  1. La Déclaration juridique de la servante de Mme Calas, du 29 mars 1767 voyez tome XXIV, page 408.
  2. La Chine.
  3. Lettre du 13 janvier, n° 6686.
  4. Beuchot a fait ces trois corrections ; voyez lettre 6804.
  5. À qui est adressée la lettre 6855.