Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6910

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 288-289).
6910. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
9 juin.

Seigneurs châtelains, nous vous rendons grâces du pied des Alpes, d’avoir pensé à nous dans les plaines de Picardie. Il n’y a que trois jours que nous avons du beau temps. J’ai été bien près d’aller m’établir auprès de Lyon, tant j’étais las des tracasseries genevoises, qui ne finiront pas de sitôt.

Le diable est à Neuchâtel, comme il est à Genève ; mais il est principalement dans le corps de J.-J., qui s’est brouillé en Angleterre avec tout le canton où il demeurait. Il s’est enfui au plus vite, après avoir laissé sur sa table une lettre[1] dans laquelle il chantait pouille à ses hôtes et à ses voisins. Ensuite il écrivit une lettre au grand chancelier[2] pour le prier de lui donner un messager d’État qui le conduisît au premier port en sûreté. Le chancelier lui fit dire que tout le monde en Angleterre était sous la protection des lois. Enfin Rousseau est parti avec sa Vachine[3], et il est allé maudire le genre humain ailleurs.

J’ai reçu une lettre pleine d’esprit et de bon sens du jeune Morival, enseigne de la colonelle de son régiment. S’il vient jamais assiéger Abbeville, soyez sûrs qu’il vous donnera des sauvegardes ; mais il n’en donnera pas à tout le monde.

J’attends avec impatience l’état des finances, que l’on dit imprimé au Louvre. Je trouve cette confiance et cette franchise très-nobles. C’est ainsi qu’en usa M. Desmarets, et cette méthode fut très-applaudie. Le seul secret pour faire contribuer sans murmure est de montrer le bon usage qu’on a fait des contributions. Personne n’en fera moins mauvaise chère pour payer les deux vingtièmes. Cet impôt d’ailleurs n’étant point arbitraire n’est sujet à aucune malversation, et cela console le peuple : c’est à l’État que l’on paye, et non pas aux fermiers généraux.

Je vous envoie un petit mémoire[4] qui regarde un peu votre pays de Languedoc. Il a déjà eu son effet. M. de Gudane, commandant au pays de Foix, a menacé le sieur de La Beaumelle de le mettre pour le reste de sa vie dans un cachot, s’il continuait à vomir ses calomnies.

MM. de Chabanon et de La Harpe sont toujours à Ferney ; mais point de tragédies. M. de Chabanon en fait une, encore y a-t-il bien de la peine. Pour moi, je suis hors de combat. Je me console en formant des jeunes gens. Mme de Fontaine-Martel disait que quand on avait le malheur de ne pouvoir plus être catin, il fallait être maq…

Aimez-moi toujours un peu, et soyez sûrs de ma tendre amitié.

  1. Ce doit être la lettre de J.-J. Rousseau à Davenport, du 30 avril 1767.
  2. Cette lettre n’est pas dans les œuvres de Rousseau.
  3. C’est du nom de Vachine que Voltaire appelle Thérèse Levasseur dans le chant III de sa Guerre civile de Genève ; voyez tome IX.
  4. C’est celui qui est tome XXVI, page 355.