Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6966

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 335-336).
6966. — À M. MARMONTEL.
7 auguste.

Mon cher confrère, vous savez sans doute que ce malheureux Coger a fait une seconde édition de son libelle contre vous[1], et qu’il y a mis une nouvelle dose de poison. Ne croyez pas que ce soit la rage du fanatisme qui arme ces coquins-là : ce n’est que la rage de nuire, et la folle espérance de se faire une réputation en attaquant ceux qui en ont. La démence de ce malheureux a été portée au point qu’il a osé compromettre le nom du roi dans une de ses notes, page 96. Il dit, dans cette note, que « vous répandez le déisme, que vous habillez Bélisaire des haillons des déistes ; que les jeunes empoisonneurs et blasphémateurs de Picardie[2], condamnés au feu l’année dernière, ont avoué que c’était de pareilles lectures qui les avaient portés aux horreurs dont ils étaient coupables ; que le jour que MM. le président Hénault, Capperonnier et Lebeau, eurent l’honneur de présenter au roi les deux derniers volumes de l’Académie des belles-lettres, Sa Majesté témoigna la plus grande indignation contre M. de V., etc. ».

Vous savez, mon cher confrère, que j’ai les lettres de M. le président Hénault et de M. Capperonnier, qui donnent un démenti formel à ce maraud. Il a osé prostituer le nom du roi, pour calomnier les membres d’une académie qui est sous la protection immédiate de Sa Majesté.

De quelque crédit que le fanatisme se vante aujourd’hui, je doute qu’il puisse se soutenir contre la vérité qui l’écrase, et contre l’opprobre dont il se couvre lui-même.

Vous savez que Coger, secrétaire de Riballier, vous prodigue, dans sa nouvelle édition, le titre de séditieux ; mais vous devez savoir aussi que votre séditieux Bélisaire vient d’être traduit en russe, sous les yeux de l’impératrice de Russie. C’est elle-même qui me fait l’honneur de me le mander[3]. Il est aussi traduit en anglais et en suédois ; cela est triste pour maître Riballier.

On s’est trop réjoui de la destruction des jésuites. Je savais bien que les jansénistes prendraient la place vacante. On nous a délivrés des renards, et on nous a livrés aux loups. Si j’étais à Paris, mon avis serait que l’Académie demandât justice au roi. Elle mettrait à ses pieds, d’un côté, les éloges donnés à votre Bélisaire par l’Europe entière, et de l’autre les impostures de deux cuistres de collège. Je voudrais qu’un corps soutînt ses membres quand ses membres lui font honneur.

Je n’ai que le temps de vous dire combien je vous estime et je vous aime.

P. S. On écrit de Vienne que Leurs Majestés impériales ayant lu Bélisaire, et l’ayant honoré de leur approbation, ce livre s’imprime actuellement dans cette capitale, quoiqu’on y sache très-bien ce qui se passe à Paris.

  1. Examen de Bélisaire, seconde édition, 1767, in-12.
  2. Le chevalier de La Barre et ses compagnons.
  3. Lettre 6899.