Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6967

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 336-338).
6967. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
7 auguste.

Mon cher ange, je vous crois actuellement à Paris, et j’ai bien des choses à vous dire sur le tripot. En premier lieu, les exemplaires de l’édition de Lyon[1] sont encore en chemin de Lyon à Ferney ; et, grâce à l’interruption du commerce, ils y seront encore longtemps. Sur votre premier ordre, j’écrirai au libraire de Lyon de faire partir les exemplaires au moins à l’adresse de M. le duc de Praslin.

Secondement, il faut que vous sachiez que Lekain m’écrit que M. le duc de Duras a perdu une petite distribution de rôles que j’avais envoyée, et qu’il en faut une seconde ; mais, dans cette seconde, il me semble qu’on enfle un peu la liste des pièces destinées à Mlle Durancy. On demande pour elle Alzire, Electre, Aurélie, Aménaïde, Idamé, Zulime, Obéide. Je ferai sur-le-champ ce que vous aurez ordonné. Vous savez qu’il y a des contestations entre Mlle Durancy et Mlle Dubois.

Après le tripot de la comédie, vient celui de la typographie. Il me paraît que c’était à Lavaysse à mettre un frein aux horreurs dont son beau-frère est coupable, et que s’il n’a pu en venir à bout, c’est une preuve que ce beau-frère est un monstre incorrigible. Vous ne savez pas, mon cher ange, combien le reste de l’Europe est différent de Paris, et avec quelle avidité de telles calomnies sont recherchées ; elles sont répétées par mille échos. Vous pouvez, ainsi que M. le duc de Praslin, mépriser les d’Éon et les Vergy. M. le prince de Condé peut dédaigner[2] un misérable qui traite son père d’assassin ; mais les gens de lettres ne sont pas dans une situation à négliger de pareilles atteintes. Il est assurément bien nécessaire de réprimer cet excès, parvenu à son comble. La vie d’un homme de lettres est un combat perpétuel.

Les jansénistes, d’un autre côté, sont devenus plus persécuteurs et plus insolents que les jésuites. On nous a défaits des renards, mais on nous laisse en proie aux loups. Ce sont des jansénistes qui ont fait ce malheureux Dictionnaire historique[3], où feu Mme de Tencin est si maltraitée.

Je reviens à la comédie. Vous allez avoir une nouvelle pièce[4], dont Lekain ne me parle pas. Je suis bien aise qu’il y ait quelques nouveautés qui fassent entièrement oublier les Illinois[5]. Les nouveautés de MM. de Chabanon et de La Harpe ne seront pas de sitôt prêtes. Tant mieux ; plus ils travailleront, plus ils réussiront. M. de Chabanon vous est toujours très-attaché, maman[6] aussi, et moi aussi, qui vous adore. Mme d’Argental me boude, mais mettez-moi à ses pieds.

  1. L’édition des Scythes, faite à Lyon par les soins de Bordes.
  2. Dans sa réponse à la lettre 6946, le prince de Condé disait que l’ouvrage calomnieux dont lui parlait Voltaire ne pouvait mériter que le mépris.
  3. Voyez lettre 6940.
  4. La tragédie de Cosroès, par Lefèvre, l’ut jouée le 26 auguste 1767. Pierre François-Alexandre Lefèvre, né en 1741, est mort à la Flèche le 9 mars 1813.
  5. Voyez lettre 6883.
  6. Mme Denis.