Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7071

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 432-433).
7071. — À MADAME D’ÉPINAI.
20 novembre.

Ma belle philosophe a donc aussi chez elle un petit théâtre ; ma belle philosophe, qui sait bien qu’il vaut mieux jouer la comédie que de jouer au wisk, se donne donc ce petit amusement avec ses amis. C’est assurément le plaisir le plus noble, le plus utile, le plus digne de la bonne compagnie qu’on puisse se donner à la campagne ; mais il est bien plaisant qu’on excommunie dans le faubourg Saint-Germain[1] ce que l’on respecte à Villers-Cotterets[2]. Il est vrai qu’on n’a jamais eu tant de raisons d’excommunier les comédiens ordinaires du roi. On prétend qu’ils sont en effet diaboliques ; le public les fuit comme des excommuniés. On dît que ce tripot est absolument désert, et que de toutes les troupes, après celle de la Sorbonne, c’est la plus vilipendée. Il y en a une à Genève qui le dispute à la Sorbonne : c’est la horde des prédicants. Depuis que le grand Tronchin l’a quittée, et qu’elle est abandonnée des médecins, elle est à l’agonie. Les autres citoyens ne se portent guère mieux ; leur petite convulsion dure toujours. Il sera fort aisé de leur donner des lois, et impossible de leur donner la paix. Heureux qui se tient paisiblement dans son château ! Il me paraît que ma belle philosophe prend ce parti neuf mois de l’année ; ainsi je me tiens d’un quart plus philosophe qu’elle ; mais elle est faite pour Paris, et moi je ne suis plus fait que pour la retraite.

Je suis bien respectueusement, véritablement, tendrement attaché à ma belle philosophe.

  1. Le Théâtre-Français était alors rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, aujourd’hui rue de l’Ancienne-Comédie.
  2. On y jouait la comédie chez le duc d’Orléans.