Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7081

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 440-441).
7081. — À M. DAMILAVILLE.
1er décembre.

J’attends demain une lettre de vous, mon cher ami ; ainsi je vous réponds avant que vous m’ayez écrit, car l’éloignement du bureau de la poste me force toujours de mettre un grand intervalle entre les lettres que je reçois et celles que je réponds.

Je n’ai encore rien reçu de Mme de Sauvigny, rien de M. le duc de Choiseul ; mais j’ai reçu un livre imprimé à Avignon, intitulé Dictionnaire antiphilosophique[1], qui est assurément très-digne de son titre. Les malheureux y ont ressemblé toutes les ordures qu’on a vomies dans divers temps contre Helvétius et Diderot, et contre quelqu’un que vous connaissez. La fureur de ces misérables est toujours couverte du masque de la religion ; ils sont comme les coupeurs de bourses qui prient Dieu à haute voix en volant dans l’église.

L’ouvrage est sans nom d’auteur, le titre le fait débiter. Il y a des morceaux qui ne sont pas sans éloquence, c’est-à-dire l’éloquence des paroles : car pour celle de la raison, il y a longtemps qu’elle est bannie de tous les livres de ce caractère. Trois jésuites, nommés Patouillet, Nonotte et Cérutti, ont contribué à ce chef-d’œuvre. On m’assure qu’un avocat a déjà daigné répondre à ces marauds, à la fin d’un livre qui roule sur des matières intéressantes.

Par quelle fatalité déplorable faut-il que des ennemis du genre humain, chassés de trois royaumes, et en horreur à la terre entière, soient unis entre eux pour faire le mal, tandis que les sages qui pourraient faire le bien sont séparés, divisés, et peut-être, hélas ! ne connaissent pas l’amitié ? Je reviens toujours à l’ancien objet de mon chagrin : les sages ne sont pas assez sages, ils ne sont pas assez unis, ne sont ni assez adroits, ni assez zélés, ni assez amis. Quoi ! trois jésuites se liguent pour répandre les calomnies les plus atroces, et trois honnêtes gens resteront tranquilles !

Vous ne serez pas tranquille sur les Sirven. Je compte toujours, mon cher ami, que M. Chardon rapportera l’affaire incessamment devant le roi. Il sera comblé de gloire et béni de la patrie.

Avez-vous lu l’Honnête Criminel ? Il y a quelques beaux vers. L’auteur aurait pu faire de cette pièce un ouvrage excellent ; il aurait fait une très-grande sensation, et aurait servi notre cause.

Je suis toujours très-malade : je sens de fortes douleurs ; mais l’amitié qui m’attache à vous est bien plus forte encore.

Bonsoir, mon digne et vertueux ami.

  1. Par Chaudon.