Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7097

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 454-456).
7097. — À M. DAMILAVILLE.
À Ferney, 14 décembre.

Mon cher ami, je reçois votre lettre du 28 de novembre, et vous devez avoir reçu la mienne du 2 de décembre, dans laquelle je vous mandais ce que j’avais fait auprès de M. le duc de Choiseul et de Mme de Sauvigny. Je vous rendais compte de ses intentions et de ses raisons. Je lui envoie aujourd’hui une copie de la lettre[1] de monsieur le contrôleur général, du 30 de mars. Ma lettre est pour elle et pour monsieur l’intendant, qui m’a fait aussi l’honneur de me venir voir à Ferney. Mais, encore une fois, vous ferez plus en un quart d’heure à Paris par vous et par vos amis.

Je ne peux encore avoir reçu de réponse de M. le duc de Choiseul.

Vous ne me parlez point des nouveaux édits[2] en faveur des négociants et des artisans. Il me semble qu’ils font beaucoup d’honneur au ministère. C’est, en quelque façon, casser la révocation de l’édit de Nantes avec tous les ménagements possibles. Cette sage conduite me fait croire qu’en effet des ordres supérieurs ont empêché les sorboniqueurs d’écrire contre la tolérance. Tout cela me donne une bonne espérance de l’affaire des Sirven, quoiqu’elle languisse beaucoup.

Je suis bien étonné qu’on ait imprimé à Paris l’Essai historique sur les dissidents de Pologne[3]. Je ne crois pas que Son Excellence le nonce de Sa Sainteté ait favorisé cette impression.

On parle de quelques autres ouvrages nouveaux, entre autres de quelques Lettres[4] écrites au prince de Brunswick sur Rabelais, et sur tous les auteurs italiens, français, anglais, allemands, accusés d’avoir écrit contre notre sainte religion. On dit que ces lettres sont curieuses. Je tâcherai d’en avoir un exemplaire et de vous l’envoyer, supposé qu’on puisse vous le faire tenir par la poste.

Je laisse là l’opéra de Philidor[5] ; je ne le verrai jamais. Je ne veux point regretter des plaisirs dont je ne peux jouir. Tout ce que je sais, c’est que le récitatif de Lulli est un chef-d’œuvre de déclamation, comme les opéras de Quinault sont des chefs-d’œuvre de poésie naturelle, de passion, de galanterie, d’esprit et de grâce. Nous sommes aujourd’hui dans la boue, et les doubles-croches ne nous en tireront pas.

Voici une réponse que je dois depuis deux mois à un commissaire de marine[6] qui a fait imprimer chez Merlin une ode sur la Magnanimité. Je suis assailli tous les jours de vingt lettres dans ce goût. Cela me dérobe tout mon temps, et empoisonne la douceur de ma vie. Plus vos lettres me consolent, plus celles des inconnus me désespèrent : cependant il faut répondre, ou se faire des ennemis. Les ministres sont bien plus à leur aise ; ils ne répondent point.

Je vous supplie de vouloir bien faire rendre ma lettre par Merlin au magnanime commissaire de marine.

J’attends l’édit[7] du concile perpétuel des Gaules ; je sais qu’il n’est pas enregistré par le public.

Adieu ; embrassez pour moi Protagoras, et aimez toujours votre très-tendre ami.

Puisse votre santé être en meilleur état que la mienne !

Je n’ai point encore reçu mon Maréchal de Luxembourg[8].

  1. Cette lettre manque.
  2. Voyez lettre 7100.
  3. Voyez tome XXVI. page 451.
  4. Voyez ibid., page 469.
  5. Ernelinde ; voyez lettre 7088.
  6. Il s’appelait H. de Belin, et était ancien commissaire de la marine. Son Ode à la Magnanimité avait été imprimée en 1767, in-8°. La lettre que Voltaire lui adressait manque.
  7. La Censure contre Bélisaire, par la faculté de théologie, imprimée in-4° et in-8°, en latin et français ; et in-12, en français seulement. Voyez tome XXVIII, page 329.
  8. Voyez lettre 7059.