Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7119

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 475-476).
7119. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 4 janvier 1768.

Je vous ai caché jusqu’aujourd’hui, monsieur, une sottise du sieur Galien qui vous touche, et dont je me proposais d’avoir l’honneur de vous parler. Il y a déjà du temps que je l’entendais dire que vous travailliez à un dialogue sur les affaires de Genève, dont Ésope et Abauzit[2] étaient les interlocuteurs. Toute la ville en parlait ; on annonçait que les représentants avaient nommé huit personnes pour y répondre ; enfin ce chef-d’œuvre a paru, et, au premier mot, j’ai reconnu que mon étourdi en était l’auteur. Je lui en ai parlé, il est convenu qu’il y avait part ; je lui ai représenté qu’il vous avait manqué essentiellement, et mon intention, dès ce moment, a été de ne plus le garder. J’ai écrit à M. le maréchal de Richelieu, et, sans lui rien dire de cette faute du sieur Galien, je l’ai prévenu que son protégé n’était bon que dans une bibliothèque. Sans doute il m’entendra. Aujourd’hui les représentants viennent de répandre dans la ville la feuille que j’ai l’honneur de vous envoyer, après laquelle il ne m’est plus possible de garder le sieur Galien : 1° parce qu’il s’est mêlé d’écrire sans m’en faire part ; 2° parce qu’il a eu envers vous une conduite très-blâmable ; enfin, parce qu’il ne convient nullement qu’un homme qui vit chez moi se mêle dans les querelles de Genève, encore moins quand il n’y entend rien, et donne prise sur lui, comme il l’a fait, en mille endroits. Je vous prie, monsieur, de me dire ce que vous jugez que je dois faire du sieur Galien, qui ne peut plus rester chez moi après une pareille incartade. Le mieux est, je crois, de le renvoyer au plus tôt à Paris.

J’étais sur le point, monsieur, de partir pour aller coucher à Ferney, lorsque la neige m’en a fermé le chemin. Aussitôt qu’on pourra passer, je me fais une fête d’aller vous tenir compagnie. Je me flatte que vous n’avez pas besoin de protestation de ma part pour être persuadé du tendre et inviolable attachement que je vous ai voué, ainsi qu’à Mme Denis.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.
  2. Firmin Abauzit, né à Uzès le 11 novembre 1679, de la religion réformée. Persécuté en France pour sa croyance religieuse, il se retira à Genève, et fut bibliothécaire de cette ville. Il mourut le 20 mars 1767. C’était un homme d’une grande érudition, du caractère le plus modeste, le plus doux et le plus communicatif : ses voyages, ses relations avec tous les savants de son temps, ses connaissances variées lui acquirent de la réputation. Il fut ami de Bayle et de Newton. On a de lui plusieurs ouvrages, entre autres une excellente édition de l’Histoire de Genève de Spon. Dans son Commentaire sur l’Apocalypse, il défendit les opinions de l’arianisme moderne. Voltaire en faisait un grand cas, et le consultait pour ses recherches.