Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7139

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 494-495).
7139. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
Ferney, le 16 janvier.

Ainsi donc mon cher défenseur de l’innocence in propria venit, et sui eum non receperunt[1]. Je vous croyais en pleine possession de Canon[2], et je vois, en jouant sur le mot, qu’il vous faudra du canon pour entrer chez vous. Il faudra cependant bien qu’à la fin Mme de Beaumont jouisse de la maison de ses pères. Il faut qu’elle soit habitée par l’éloquence et par l’esprit, après l’avoir été par la finance, afin qu’elle soit purifiée.

Notre ami M. Damilaville est actuellement plus embarrassé que vous. On lui conteste une place qui lui a été promise, et qu’il a méritée par vingt ans de travail assidu.

Je suis très-fâché de la mort de M. Cassen. Il sera aisé de trouver un avocat au conseil qui le remplace. M. Chardon n’attend que le moment de rapporter ; il est tout prêt. Je pense même que le petit orage que le parlement de Paris lui a fait essuyer ne ralentira pas son zèle contre le parlement de Toulouse.

J’attends avec grande impatience le mémoire que vous avez bien voulu faire pour les accusés de Sainte-Foy[3] ; ils sont encore aux fers, et vous les briserez. Il est inconcevable que la jurisprudence soit si barbare dans une nation si légère et si gaie. C’est, je crois, parce que nos agréments sont très-modernes, et notre barbarie très-ancienne.

Je ne savais pas que l’Honnête Criminel existât en effet, et qu’il s’appelât Favre. Si la chose est comme le dit l’auteur de la pièce, le père est un grand misérable ; et l’ouvrage serait plus attendrissant si le père venait se présenter au bout d’un mois, au lieu d’attendre quelques années. Quoiqu’il en soit, il y a trop de fanatiques aux galères, conduits par d’autres fanatiques. La raison et la tolérance vous ont choisi pour leur avocat, elles avaient besoin d’un homme tel que vous.

Je présente mes respects à Mme de Beaumont, et je partage entre vous deux mon attachement inviolable et ma sincère estime.

  1. Saint Jean, i, 11.
  2. Voyez tome XLIV, page 454.
  3. Voyez lettre 6936.