Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7165

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7165. — DE MADAME LA MARQUISE D’ANTREMONT[1].
À Aubenas, le 4 février.

Monsieur, une femme qui n’est pas Mme Desforges-Maillard, une femme vraiment femme, et femme dans toute la force du terme, vous prie de lire les pièces renfermées sous cette enveloppe ; elle fait des vers parce qu’il faut faire quelque chose, parce qu’il est aussi amusant d’assembler des mots que des nœuds, et qu’il en coûte moins de symétriser des pensées que des pompons. Vous ne vous apercevrez que trop, monsieur, que ces vers lui ont peu coûté, et vous lui direz que

Des vers faits aisément sont rarement aisés.


Elle se rappelle vos préceptes sur ce sujet, et ceux de ce Boileau qui partage avec vous l’avantage de graver ses écrits dans la mémoire de ses lecteurs, et d’instruire l’esprit sans lui demander des efforts. Vos principes et les siens sont admirables ; mais ils ne s’accordent pas avec la légèreté d’une personne de vingt et un ans, qui a beaucoup d’antipathie pour tout ce qui est pénible. Heureusement je rime sans prétention, et mes ouvrages restent dans mon portefeuille. S’ils en sortent aujourd’hui, c’est parce qu’il y a longtemps que je désirais d’écrire à l’homme de France que je lis avec le plus de plaisir, et que je me suis imaginé que quelques pièces de vers serviraient de passe-port à ma lettre : je n’ai point eu d’autres motifs, monsieur :

À PindaIl est des femmes beaux esprits ;
À Pindare autrefois, dans les champs olympiques,
À PindaCorinne des succès lyriques
À PindaTrès-souvent disputa le prix.
Pindare assurément ne valait pas Voltaire ;
À PindaCorinne valait mieux que moi.
À PindaQu’il faudrait être téméraire
À PindaPour entrer en lice avec toi !
Mais je le suis assez pour désirer de plaire
À PinÀ l’écrivain dont le goût est ma loi.
À PinSi tu daignais sourire à mes ouvrages,
À PindaQuel sort égalerait le mien !
À PindaTu réunis tous les suffrages,
À PindaEt moi, je n’aspire qu’au tien.

Il serait bien glorieux pour moi de l’obtenir. N’allez pourtant pas croire que j’ose me flatter de le mériter ; mais croyez que rien ne peut égaler les sentiments d’estime et d’admiration avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

d’Antremont.

  1. Marie-Anne-Henriette Payan de Lestang, épouse du marquis d’Antremont, puis du baron de Bourdic, et, en troisièmes noces, de M. Viot, née à Dresde en 1746, est morte à Paris le 7 auguste 1802. (B.) — La réponse de Voltaire est sous le No 7184.