Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7165
Monsieur, une femme qui n’est pas Mme Desforges-Maillard, une femme vraiment femme, et femme dans toute la force du terme, vous prie de lire les pièces renfermées sous cette enveloppe ; elle fait des vers parce qu’il faut faire quelque chose, parce qu’il est aussi amusant d’assembler des mots que des nœuds, et qu’il en coûte moins de symétriser des pensées que des pompons. Vous ne vous apercevrez que trop, monsieur, que ces vers lui ont peu coûté, et vous lui direz que
Des vers faits aisément sont rarement aisés.
Elle se rappelle vos préceptes sur ce sujet, et ceux de ce Boileau qui partage
avec vous l’avantage de graver ses écrits dans la mémoire de ses lecteurs,
et d’instruire l’esprit sans lui demander des efforts. Vos principes et les
siens sont admirables ; mais ils ne s’accordent pas avec la légèreté d’une
personne de vingt et un ans, qui a beaucoup d’antipathie pour tout ce qui
est pénible. Heureusement je rime sans prétention, et mes ouvrages restent
dans mon portefeuille. S’ils en sortent aujourd’hui, c’est parce qu’il y a longtemps
que je désirais d’écrire à l’homme de France que je lis avec le plus de
plaisir, et que je me suis imaginé que quelques pièces de vers serviraient
de passe-port à ma lettre : je n’ai point eu d’autres motifs, monsieur :
À Pindare autrefois, dans les champs olympiques,
Corinne des succès lyriques
Très-souvent disputa le prix.
Pindare assurément ne valait pas Voltaire ;
Corinne valait mieux que moi.
Qu’il faudrait être téméraire
Pour entrer en lice avec toi !
Mais je le suis assez pour désirer de plaire
À l’écrivain dont le goût est ma loi.
Si tu daignais sourire à mes ouvrages,
Quel sort égalerait le mien !
Tu réunis tous les suffrages,
Et moi, je n’aspire qu’au tien.
Il serait bien glorieux pour moi de l’obtenir. N’allez pourtant pas croire que j’ose me flatter de le mériter ; mais croyez que rien ne peut égaler les sentiments d’estime et d’admiration avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.