Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7328
Mon cher ami, mon cher confrère, il y a tantôt deux mois que je n’ai écrit à personne. J’avais fait un travail forcé qui m’a rendu longtemps malade. Mais, en ne vous écrivant point, je ne vous ai pas oublié, et je ne vous oublierai jamais.
Vous avez eu tout le temps de coiffer Eudoxie, et je m’imagine qu’à présent c’est une dame des mieux mises que nous ayons. Pour Pandore, je ne vous en parle point. Notre Orphée a toujours son procès à soutenir, et son père mourant à soigner. Il n’y a pas moyen de faire de la musique dans de telles circonstances. Est-il vrai que celle du Huron soit charmante ? Elle est d’un petit Liégeois que vous avez peut-être vu à Ferney[1]. J’ai bien peur que l’opéra-comique ne mette un jour au tombeau le grand opéra tragique. Mais relevez donc la vraie tragédie, qui est, dit-on, anéantie à Paris. On dit qu’il n’y a pas une seule actrice supportable. Je m’intéresse toujours à ce maudit Paris, du bord de mon tombeau.
On dit que l’oraison funèbre[2] de notre ami Jean-George est un prodige de ridicule ; et, pendant qu’il la débitait, on lui criait : « Finissez donc ! » C’est un terrible Welche que ce Jean-George. On dit qu’il est pire que son frère. Les Pompignan ne sont pas heureux. Je n’ai point vu la pièce ; mais on m’en a envoyé de petits morceaux qui sont impayables.
J’ai lu une brochure assez curieuse, intitulée les Droits des hommes et les Usurpations des autres[3]. Il s’agit des usurpations de notre saint-père le pape sur la suzeraineté du royaume de Naples, sur Ferrare, sur Castro et Ronciglione, etc., etc. Si vous êtes curieux de la lire, je vous l’enverrai, pourvu que vous me donniez une adresse. Adieu, mon cher ami, aimez toujours le vieux solitaire, qui vous aimera jusqu’au temps où l’on n’aime personne.
- ↑ André-Ernest-Modeste Grétry, né à Liège en 1741, mort le 27 septembre 1813 ; voyez tome VI, page 573.
- ↑ L’oraison funèbre de la reine fut prononcée à Saint-Denis le 11 auguste 1768. Elle contient des portraits satiriques des philosophes, en retour des brocards dont quelques-uns l’avaient accablé ; voyez tome XII, page 562.
- ↑ Voyez tome XXVII, page 193.