Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7364

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 143).
7364. — À M. DE LALANDE.
19 octobre.

Vous pardonnerez, mon cher philosophe, à un pauvre malade sa négligence à vous répondre, car un vrai philosophe est compatissant. Ce pauvre Ferney a été un hôpital.

Si Mme de Marron l’honore de sa présence, elle sera comme Philoctète, qui vint à Thèbes en temps de peste.

Il est vrai que rien n’est plus étrange pour une dame que de faire trois tragédies en quatre mois, et de composer la quatrième. Il est très-difficile d’en faire une bonne en un an. Phèdre coûta deux années à Racine. Mais quand il y aurait des défauts dans les ouvrages précipités de Mme de Marron, cette précipitation et cette facilité seraient encore un prodige. J’irais l’admirer chez elle, si je pouvais sortir ; mais si elle veut que je voie ses pièces, il faudra bien qu’elle vienne à Ferney. Vous savez bien que les déesses prenaient la peine autrefois de descendre sur leurs autels pour y recevoir l’encens de leurs adorateurs. Elle me verra malade, mais je suis le malade le plus sensible au mérite et aux beaux vers.

Je ne sais si vous êtes actuellement occupé avec les astres ; pour moi, je suis fort mécontent de la terre : nous ne pouvons semer ; on n’aura point de récolte l’année prochaine, si Dieu n’y met la main.