Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7372

La bibliothèque libre.
7372. — À M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT.
À Ferney, 31 octobre.

Ah ! nous voilà d’accord, mon cher et illustre confrère. Oui, sans doute, j’y mettrai mon nom[1], quoique je ne l’aie jamais mis à aucun de mes ouvrages. Mon amour-propre se réserve pour les grandes occasions, et je n’en sais point de plus honorable que celle de défendre la vérité et votre gloire.

J’avais déjà prié M. Marin[2] de vous engager à prêter les armes d’Achille à votre Patrocle, qui espère ne pas trouver d’Hector. Je lui ai même envoyé en dernier lieu une liste des faits qu’on ne peut guère vérifier que dans la Bibliothèque du roi, me flattant que M. l’abbé Boudot voudrait bien se donner cette peine. Je vous envoie un double de cette liste ; elle consiste en dix articles principaux qui méritent des éclaircissements[3].

Vous jugerez par ces articles mêmes que le critique a de profondes et de singulières connaissances de notre histoire, quoiqu’il se trompe en bien des endroits.

Il serait convenable que vous lussiez cet ouvrage ; vous seriez bien plus à portée alors de m’éclairer. Vous verriez combien le style, quoique inégal, peut faire d’illusion. Je sais qu’on a envoyé à Paris six cents exemplaires de la première édition, et que le débit n’en a pas été permis ; mais l’ouvrage est répandu dans les provinces et dans les pays étrangers ; il est surtout vanté par les protestants ; et, comme l’auteur semble vouloir défendre la mémoire d’Henri IV, il devient par là cher aux lecteurs qui n’approfondissent rien.

Vous voyez évidemment, par toutes ces raisons, qu’il est absolument nécessaire de le réfuter.

M. Marin a entre les mains une carte sur laquelle l’imprimeur m’a écrit que l’ouvrage est de M. le marquis de Belestat ; mais je suis persuadé que ce libraire m’a trompé, et que l’auteur a joint à toutes ses hardiesses celle de mettre ses critiques sous un nom qui s’attire de la considération.

M. le marquis de Belestat est un jeune homme de mérite qui m’a fait l’honneur de m’écrire quelquefois. Le style de ses lettres est absolument différent de celui de la critique qu’on lui impute ; mais on peut avoir un style épistolaire naturel et faible, et un style plus fort et plus recherché pour un ouvrage destiné au public.

Quoi qu’il en soit, je lui ai écrit en dernier lieu[4] pour l’avertir qu’on lui attribue cette pièce ; je n’en ai point eu de réponse. Peut-être n’est-il plus à Montpellier, d’où il avait daté les dernières lettres que j’ai reçues de lui.

Vous voilà bien au fait, mon cher et illustre confrère ; vous jugerez si j’ai cette affaire à cœur, si votre gloire m’est chère, si un attachement de quarante années peut se démentir. Je vous répéterai ici mon ancienne maxime : en fait d’ouvrages de goût, il ne faut jamais répondre ; en fait d’histoire, il faut répondre toujours, j’entends sur les choses qui en valent la peine, et principalement celles qui intéressent la nation.

si vous m’envoyez les instructions qui me sont nécessaires, je vous prie de me les adresser par M. Marin, qui me les fera tenir contre-signées.

Il ne me reste qu’à vous embrasser avec la tendresse la plus vive, et à vous souhaiter une vie longue et heureuse, que vous méritez si bien. Tant que la mienne durera, vous n’aurez point de serviteur qui vous soit plus inviolablement attaché.

  1. Dans sa lettre 7360 Voltaire parlait de publier une défense de Hénault contre l’Examen de la nouvelle Histoire de Henri IV. Mais il fit seulement quelques notes ; voyez tome XV, page 532.
  2. La dernière lettre à Marin est du 19 août (No 7314) ;. Il faut qu’il en ait une de perdue. (B.)
  3. 1° Voir dans l’Avis aux bons Catholiques, imprimé à Toulouse, et qui est à la Bibliothèque du roi parmi les recueils de la Ligue, si. dans cet écrit, la validité du mariage de Jeanne d’Albret avec Antoine de Bourbon est contestée : et s’il est vrai que le pape Grégoire XIII signifia qu’il ne regardait pas ce mariage comme légitime. Cette dernière partie de l’anecdote me paraît entièrement fausse.

    2° Voir si, dans le contrat de mariage de Marguerite de Valois et du prince de Béarn, Jeanne d’Albret prit la qualité de majesté fidélissime.

    3° Consulter les manuscrits concernant les premiers états de Blois ; et voir si les députés furent chargés d’une instruction portant que les cours de parlement sont les états généraux au petit pied.

    4° Savoir si Marguerite de Valois eut en dot les sénéchaussées du Quercy et de l’Agénois, avec le pouvoir de nommer aux évêchés et aux abbayes.

    5° Savoir s’il est vrai que la sentence rendue par le juge de Saint-Jean-d’Angely porte que la princesse de condé sera appliquée a la question.

    6° Savoir si, par l’édit de mars 1552 et l’édit de décembre 1563, la nouvelle religion est véritablement autorisée, et si elle y est appelée religion prétendue réformée ;

    7° S’il est vrai que Jeanne d’Albret se soit opposée longtemps au mariage du prince de Béarn son fils, depuis Henri IV, avec Marguerite ;

    8° S’il est vrai qu’en dernier lieu on ait retrouvé, au greffe du parlement de Rouen, un édit de Henri IV, de janvier 1595, qui chassait tous les jésuites du royaume. Il est sûr que Henri IV assura le pape qu’il ne donnerait point cet édit. De Thou dit que cet édit ne fut point accordé ; ce fait est très-important.

    9° Savoir s’il est vrai que le roi Charles VI ne fut déclaré majeur qu’à l’âge de vingt-deux ans ; il fut pourtant sacré en 1380, âgé de treize ans et quelques jours, et le sacre faisait cesser la régence.

    10° N’est-il pas vrai qu’avant l’édit de Charles V les rois étaient majeurs à vingt et un ans, et non à vingt-deux ? (Note de Voltaire.)

  4. Voyez les lettres 7358 et 7359.