Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7454

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 231).
7454. — À M. SALES DE PRÉGNY[1].
À Ferney, 11 janvier.

Monsieur, je serai très-aise de vous avoir pour voisin. Je suis peu flatté, à mon âge, d’être seigneur de Tournay ad vitam. Les petits arrangements qu’on pourrait prendre avec vous et avec M. le président de Brosses ne seront pas bien difficiles. Je ne demandais à M. le président de Brosses qu’une sûreté, qu’il n’inquiéterait point après ma mort mon fermier, à qui les bestiaux et les ustensiles appartiennent.

J’ai fait beaucoup trop de dépenses à cette maison, que je n’ai jamais habitée. Je l’ai achetée fort cher, et je n’en ai presque rien retiré ; mais j’ai fait de plus grandes pertes, et je me suis consolé. Je suis persuadé que si vous achetez cette terre, vous ne refuserez pas le petit dédommagement qui m’est dû, et que vous proposez vous-même. Je pense que vous êtes en effet le seul Genevois à qui cette terre convienne, et je doute qu’aucun autre voulût l’acquérir. Vous y avez des domaines en franc alleu, et vous seul êtes assez riche pour acheter une terre qui ne vous rapportera rien tant que je vivrai. Or je vous avertis, monsieur, que je compte vivre jusqu’à quatre-vingt-deux ans au moins, attendu que mon grand-père, qui était aussi sec que moi, et qui ne faisait ni vers ni prose, en a vécu quatre-vingt-trois.

Ayez la bonté de prendre vos mesures là-dessus. Soyez sûr que je vous donnerai toutes les facilités possibles pour cette acquisition. Je suis à vos ordres, et j’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, votre très-humble, etc.[2]

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. On trouve ici dans Beuchot, à la date du 12 janvier, une lettre que nous plaçons a l’année 1770.