Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7455

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 231-233).
7455. — À M. D’ALEMBERT.
13 janvier.

Je vous renvoie, mon cher philosophe, votre chien danois[1] ; il est beau, bien fait, hardi, vigoureux, et vaut mieux que tous les petits chiens de manchon qui lèchent et qui jappent à Paris.

Votre discours est excellent ; vous êtes presque le seul qui n’alliez jamais ni en deçà ni en delà de votre pensée. Je vous avertis que j’en ai tiré copie.

Le Mercure devient bon. Il y a des extraits de livres fort bien faits. Pourquoi n’y pas insérer ce discours, dont le public a besoin ? La Bletterie a juré à son protecteur et à sa protectrice qu’il ne m’avait point eu en vue, et qu’il me permettait de ne pas me faire enterrer. Il dit aussi qu’il n’a point songé à Marmontel quand il a parlé de Bélisaire, ni au président Hénault quand il a dit que « la précision des dates est le sublime des historiens sans talents ». J’ai tourné le tout en plaisanterie.

À propos du président Hénault, le marquis de Bélestat m’a écrit enfin qu’il était très-fâché que j’eusse douté un moment que le portrait de Shab-Abbas et du président fussent de lui ; qu’ils sont très-ressemblants ; que tout le monde est de son avis, et qu’il n’en démordra pas. J’ai envoyé sa lettre à notre ami Marin. On a fait trois éditions de ce petit ouvrage en province, car la province pense depuis quelques années. Il s’est fait un prodigieux changement, par exemple, dans le parlement de Toulouse ; la moitié est devenue philosophe, et les vieilles têtes rongées de la teigne de la barbarie mourront bientôt.

Oui, sans doute, j’ai regretté Damilaville ; il avait l’enthousiasme de saint Paul, et n’en avait ni l’extravagance ni la fourberie : c’était un homme nécessaire.

Oui, oui, l’A, B, C est d’un membre du parlement d’Angleterre, nommé Huet, parent de l’évêque d’Avranches, et connu par de pareils ouvrages. Le traducteur est un avocat nommé La Bastide ; ils sont trois de ce nom-là : il est difficile qu’ils soient égorgés tous les trois par les assassins du chevalier de La Barre.

Vous n’avez point les bons livres à Paris : le Militaire philosophe[2], les Doutes[3], l’Imposture sacerdotale[4], le Polissonisme dèvoilè[5]. Il paraît tous les huit jours un livre dans ce goût en Hollande. La Riforma d’Italia[6] qui n’est pourtant qu’une déclamation, a fait un prodigieux effet en Italie. Nous aurons bientôt de nouveaux cieux et une nouvelle terre, j’entends pour les honnêtes gens ; car, pour la canaille, le plus sot ciel et la plus sotte terre est ce qu’il lui faut.

Je prends le ciel et la terre à témoin que je vous aime de tout mon cœur.

Pardieu, vous êtes bien injuste de me reprocher des ménagements pour gens puissants, que je n’ai connus jadis que pour gens aimables à qui j’ai les dernières obligations, et qui même m’ont défendu contre les monstres. En quoi puis-je me plaindre d’eux ? est-ce parce qu’ils m’écrivent pour me jurer que La Bletterie jure qu’il n’a pas pensé à moi ? Faudrait-il que je me brûlasse toujours les pattes pour tirer les marrons du feu ? Ce sont les assassins que je ne ménage pas. Voyez comme ils sont fêtés tome Ier et tome IV du Siècle.

  1. Le Discours prononcé devant le roi de Danemark ; voyez lettre 7420.
  2. Voyez la note, tome XXVII, page 117.
  3. Les Doutes sur la religion, suivis de l’analyse du Traité théologi-polilique de Spinosa, 1767. in-12. L’Analyse est du comte de Boulainvilliers ; les Doutes, de Guéroult de Pival, mort en 1772.
  4. Voyez la note, tome XLV, page 526.
  5. C’est-à-dire le Christianisme dévoilé. (B.). — Voyez lettre 7423.
  6. Voyez page 134.