Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7488

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 268-269).
7487. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
27 février.

Mon divin ange, j’aurais voulu vous écrire plus tôt, mais les neiges m’ont englouti ; j’ai été extrêmement malade. Si le président Hénault est tombé en enfance, ma jeunesse se passe, et je tomberai bientôt dans le néant. Molé paraît me condamner à y entrer. Vous, qui êtes beaucoup plus jeune que moi, et dont l’âme tranquille et ferme gouverne un corps plus robuste, vous vous tirerez de là bien mieux que moi, et vous prendrez votre temps pour me rendre la vie. Je me mets entièrement entre vos mains.

Je crois qu’il est fort à désirer que la chose dont il est question puisse avoir son plein effet. Tout ce qui peut tendre à établir la tolérance chez les hommes doit être protégé bien fortement par vous[1].

Ce n’est que sur les lettres réitérées de Toulouse que j’y envoie les Sirven ; ce n’est que parce qu’on me mande qu’une grande partie du parlement, qui n’était qu’un séminaire de pédants ignorants, est devenue une académie de philosophes. Il faut partout laisser pourrir la grand’chambre, mais partout les enquêtes se forment ! Marc-Michel Rey n’a pas nui à ce prodigieux changement. Il ne s’agissait pas de faire une révolution dans les États, comme du temps de Luther et de Calvin, mais d’en faire une dans l’esprit de ceux qui sont faits pour gouverner. Cet ouvrage est bien avancé d’un bout de l’Europe à l’autre, et l’Italie même, le centre de la superstition, secoue fortement la poussière dans laquelle elle a été ensevelie. Je bénis donc Dieu dans mes derniers jours, et je me recommande, dans ma misère, à mes anges gardiens, dans la grâce desquels je veux mourir.

  1. Il s’agit ici de la représentation des Guèbres, tragédie.