Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7524
Voici le temps où les Picards vont jouir d’une douce tranquillité dans leurs terres. Je souhaite un bon voyage à la dame et au seigneur d’Hornoy, beaucoup de santé, de plaisirs, et de comédies.
Vous savez que celle de l’élection du vicaire de saint Pierre est presque finie à Rome. Mais ce que vous ne savez pas, c’est que j’ai presque autant de part que le Saint-Esprit à l’élection de Stopani[1]. Le colonel du régiment de Deux-Ponts[2], et madame sa femme, avaient absolument voulu me voir. Mme Cramer les amena chez moi il y a environ deux mois[3] ; elle força les barrières de ma solitude. Après dîner, pour nous amuser, nous jouâmes le pape aux trois dés ; je tirai pour Stopani, et j’eus rafle.
Comme je jouais avec des hérétiques, il était bien juste que je gagnasse.
Quand, d’un saint zèle possédés,
On nous vit jouer aux trois dés
De Simon le bel héritage,
On rafla pour Cavalchini,
Pour Corsini, pour Negroni :
Stopani m’échut en partage,
Et mon dé se trouva béni.
Stopani du monde est le maître,
Mais il n’en jouira pas longtemps,
il a soixante et quatorze ans :
C’est mourir pape, et non pas l’être.
J’aime les clefs du paradis ;
Mais c’est peu de chose à notre âge.
Un vieux pape est, à mon avis,
Fort au-dessous d’un jeune page.
Dans la vieillesse on tolère la vie, et dans la jeunesse on en abuse. Ainsi tout est vanité, à commencer par le pape et à finir par moi.
J’ai eu douze accès de fièvre, je n’ai vu de médecin qu’une