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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7608

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 393-394).
7608. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
24 juillet.

Je vous ai envoyé en grand secret, madame, la tragédie des Guèbres. Vous me feriez une peine extrême si vous disiez publiquement votre pensée sur cette tolérance dont vous ne vous souciez guère, et qui me touche infiniment. Vous n’êtes informée que des plaisirs de Paris, et je le suis des malheurs de trois ou quatre cent mille âmes qui souffrent dans les provinces.

On ne veut pas les reconnaître pour citoyens ; leurs mariages sont nuls ; on déclare leurs enfants bâtards.

Un jeune homme de la plus grande espérance, plein de candeur et de génie, m’apporta, il y a près de six mois, cet ouvrage que je vous ai envoyé. J’ai beaucoup travaillé avec lui ; je l’ai aidé de mon mieux. Les comédiens allaient jouer la pièce, lorsque des magistrats, qui ont cru reconnaître nos prêtres dans les prêtres païens, s’y sont opposés. Les comédiens étaient enchantés de cet ouvrage, qui est très-neuf, et qui aurait été encore plus utile.

Gardez-vous bien, madame, d’être aussi difficile que le procureur du roi du Châtelet. Je crois que cette tragédie sera bientôt imprimée à Paris. On la jouera, si les honnêtes gens la désirent fortement : leur voix dirige à la fin l’opinion des magistrats mêmes. Mes amis feront tout ce qu’ils pourront pour obtenir cette justice. Je vous mets à leur tête, madame, et je vous conjure d’employer pour mon jeune homme toute votre éloquence et toutes vos bontés.

Faites-vous lire la pièce par un bon récitateur de vers. Vous verrez aisément de quoi il s’agit, et vous viendrez à notre secours. Je vous le demande avec la plus vive instance.

Quant à l’Histoire du Parlement, c’est une rapsodie. Les derniers chapitres sont d’un sot et d’un ignorant, qui ne sait ni le français ni l’histoire. Mon dernier chapitre à moi, c’est de vous aimer très-tendrement, et de souhaiter, avec une passion malheureuse, de vous voir et de vous entendre.

Adieu, madame ; cette vie n’est pas semée de roses.