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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7787

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 562).
7787. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 17 février 1770, à dix heures du soir.

M. Fabry, que j’ai engagé à passer chez vous, vous aura instruit sans doute, monsieur, de l’état où il a laissé cette ville. Il se sera peut-être rappelé aussi la manière dont j’ai fait sentir à M. le conseiller Cramer qu’il importait que ceci finit sans cruauté, et la réponse qu’il m’a faite, très-capable de rassurer sur le sort des prisonniers.

Les Vanières sont en sûreté chez eux ; on m’a fait valoir le soin qu’on a eu de les empêcher d’aller rejoindre leur compagnie, où ils auraient pu être insultés.

Comme j’ai ordre de ne me mêler de rien, je ne puis faire aucune démarche ; mais, sous prétexte de dire mon avis sur les faits, je fais sentir, sans me compromettre, qu’on a les yeux ouverts sur la conclusion de cette étrange aventure. Croiriez-vous bien, monsieur, que j’ai été, pendant toute la journée du jeudi, presque seul à regarder ce qui se faisait comme une atrocité des uns et une balourdise des autres. Hier, quelques gens commencèrent à se demander si l’émétique n’était pas trop violent. Aujourd’hui, il n’y a pas un très-grand nombre de personnes qui ne blâment ce qui s’est fait, et beaucoup en frémissent. Mais malheureusement le reste est armé, et triomphe avec l’insolence que tant bien connaissez.

Les natifs, insultés à chaque moment par la canaille représentante, sont dans l’état le plus cruel. Je ne crains qu’une chose, c’est que les syndics et conseils qui se sont laissé entraîner à une démarche qu’ils s’efforceront en vain de justifier ne soient tellement mis dans la dépendance des commissaires qu’ils ne soient pas maîtres de replâtrer par la douceur la faute qu’ils ont faite. Mais, s’il en était besoin, je ne prendrais conseil que de l’humanité.

J’ai peut-être écrit cent pages in-folio pour annoncer ce qui arrive et la nécessité de s’occuper de bâtir des maisons à Versoy ; mais on a bien d’autres choses à penser à Versailles. Il faut espérer qu’on se décidera maintenant, et avec quelque argent et de bonnes paroles tout ne sera pas manqué.

On ne parle plus de vous, monsieur, et ce ne serait pas le moment. Je crois qu’on s’abonnerait bien pour que vous voulussiez ne rien dire. Laissons calmer tout ceci, et nous parlerons quand personne ne sera plus dans le lacs.

Je vous ai bien reconnu aux dispositions que vous annoncez pour ceux qui abandonneront cette ville. Le nombre en pourra être grand. Puissions-nous obtenir de quoi leur faire bénir leur nouvelle patrie.

Je n’ai pas voulu me coucher, monsieur, sans causer avec vous. Selon toute apparence, il me sera impossible de vous voir avant lundi. J’ai mes gazettes à faire ; je serai très-aise d’y pouvoir dire que vous avez recueilli dispersiones Israelis, et je vous félicite d’avance du bien que vous ferez.

Mes respects à Mme Denis.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin ; Paris, 1825.