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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7805

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7805. — DE CATHERINE II[1],
18 février-1er mars 1770.

Monsieur, en réponse à votre lettre du 2 février, je vous dirai que le hospodar de Moldavie est mort ; que celui de Valachie a beaucoup d’esprit ; que nous continuons à être les maîtres de ces deux provinces, malgré les gazettes, qui nous en chassent souvent.

Le sultan avait fait un nouvel hospodar in partibus infidelium, auquel il avait ordonné d’aller avec une armée innombrable se mettre en possession de Boucharest : il ne trouva que six à sept mille hommes, avec lesquels il fut battu comme il faut au mois de janvier. La semaine passée, je reçus la nouvelle de la prise de Giorgione sur le Danube, et de la défaite d’un corps turc de quinze mille hommes. Nous avons chanté le Te Deum le lendemain pour cet avantage, et pour tant d’autres que nous avons remportés depuis le 4 de janvier.

On dit ma flotte partie de Mahon. Il faut espérer que nous en entendrons parler bientôt, et qu’elle prendra la liberté de donner un démenti à ceux qui soutiennent qu’elle est hors d’état d’agir. Je trouve très-plaisant que l’envie ait recours au mensonge pour en imposer au monde. Un pareil associé est toujours prêt à faire banqueroute. Le peu de vaisseaux turcs qui existent manquent de matelots. Les musulmans ont perdu l’envie de se laisser tuer pour les caprices de Sa Hautesse.

M. Todtleben a passé le Caucase, et il est en quartiers d’hiver en Géorgie. Mais comme la mauvaise saison est courte dans ces pays, j’espère qu’il ouvrira bientôt la campagne.

Lorsque la première division de ma flotte relâcha en Angleterre, le comte Czernischew, alors ambassadeur à cette cour, était inquiet de ce que quelques vaisseaux avaient besoin de radoub, etc. L’amiral anglais lui dit : « Vous faites du bruit pour bien peu de chose ; jamais expédition maritime de quelque importance ne s’est faite sans pareils inconvénients : cette aventure est neuve pour vous ; chez nous, c’est affaire de tous les jours. Ceux qui s’en étonnent n’ont aucune expérience sur ce point. »

Je souhaite, monsieur, que vous ayez le plaisir de voir s’accomplir vos prophéties. Vos protégés, les officiers huguenots que le roi de Sardaigne a réformés, seront les bienvenus chez nous. Il sera aisé d’en placer une trentaine ; ils n’ont qu’a venir, et s’adresser au comte Zacharie Czernischew, vice-président du collège de guerre, qui les placera. J’ai grondé le comte Schouvalow ; il jure par Jupiter qu’il vous a répondu exactement : ses lettres se sont perdues peut-être.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances relatifs à l’histoire de l’empire de Russie, etc., tome X, page 405.