Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7870
Au sujet près, mon cher ami, jamais les gens de lettres, dans aucun pays, n’ont imaginé rien de plus noble. Les douze apôtres n’ont pas eu ce courage. Les douze personnes à qui cette étrange idée à passé par la tête sont dignes chacune de ce qu’elles veulent me donner.
Cet honneur est bien grand, tous l’ont su mériter.
Mais douze monuments et douze statuaires !
Ce serait un peu trop d’affaires.
Ils ont dit « Choisissons, pour nous représenter,
Celui qui d’entre nous donna les étrivières
Le plus fort et le plus longtemps
Aux Grizels, aux Frérons, aux cuistres, aux pédants ;
C’est notre prête-nom, c’est lui qui dans la troupe
Combattit en enfant perdu ;
C’est notre vieux soldat, au service assidu :
Faisons son effigie avant qu’à notre insu
La friponne Atropos lui coupe
Le fil mal renoué dont on le tient pourvu ;
On croira, quand on l’aura vu,
Que de nous tous on voit le groupe.
D’ailleurs, si nous l’aimons, certe il nous le rend bien.
Vite, qu’on nous l’ébauche ; allons, Pigal, dépêche ;
Figure à ton plaisir ce très-mauvais chrétien ;
Mais en secret nous craignons bien
Qu’un bon chrétien ne t’en empêche. »
Vous m’allez dire que ces petits versiculets familiers ne valent rien je le sais tout comme vous ; mais j’ai la poitrine attaquée, je n’en puis plus ; et je vous conseille de mettre l’inscription : « À Voltaire mourant », comme je le mande à M. d’Alembert[1].
Bonsoir, mon très-cher confrère.