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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7916

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 104-105).
7916. — À M. D’ALEMBERT.
11 juin.

Mon cher ami, mon cher philosophe, êtes-vous toujours bien imbécile à la manière de Locke et de Newton ? Prêtez-moi un peu de votre bêtise, j’en ai grand besoin. On dit que vous nous donnez pour confrère monsieur l’archevêque de Toulouse[1], qui passe pour une bête de votre façon, très-bien disciplinée par vous. Savez-vous quand les bêtes d’une autre espèce cesseront d’être assemblées ? cela est assez important pour ce pauvre Panckoucke.

Répondez, je vous prie, à une autre question.

Le roi de Prusse vous a envoyé, sans doute, son petit écrit[2] contre un livre imprimé cette année, intitulé Essai sur les Préjugés ; ce roi a aussi les siens, qu’il faut lui pardonner : on n’est pas roi pour rien. Mais je voudrais savoir quel est l’auteur de cet Essai contre lequel Sa Majesté prussienne s’amuse à écrire un peu durement. Serait-il de Diderot ? serait-il de Damilaville ? serait-il d’Helvétius ? peut-être ne le connaissez-vous point ; je le crois imprimé en Hollande. L’auteur, quel qu’il soit, me paraît ressembler à Le Clerc de Montmercy ; il a de la force, mais il fait trop de prose, comme l’autre fait trop de vers.

Il faut que je vous dise un mot de la plaisanterie de l’effigie. Le vieux magot que Pigalle veut sculpter sous vos auspices a perdu toutes ses dents, et perd ses yeux ; il n’est point du tout sculptable ; il est dans un état à faire pitié. Conseillez, je vous en prie, à votre Phidias de s’en tenir à la petite figure de porcelaine faite à Sèvres, qui lui servirait de modèle. J’aimerais bien mieux avoir votre buste que tout autre.

Bonsoir, mon très-cher philosophe ; badinez avec la vie : elle n’est bonne qu’à cela.

  1. Loménie de Brienne ; voyez tome XLIII, page 558.
  2. Voyez lettre 7893.