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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7920

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 107-108).
7920. — À M. HENNIN.
À Ferney, 16 juin.

« Va te faire f…, va gratter ton cul avec celui du résident ; tu as du pain dans tes poches pour les grimauds ; tu viens de la part de ces b…… de Français de Ferney, etc., etc., etc. »

Ce sont là, monsieur, les propres mots de la philippique prononcée aujourd’hui, 16 du mois de la jeunesse, contre Dalloz, commissionnaire de Ferney, porteur, non de pain pour les grimauds, mais d’une petite truite pour notre souper.

Ces galanteries arrivent fort souvent. Nous en régalerons M. le duc de Choiseul, à qui nous devons d’ailleurs des remerciements pour avoir fait acheter et payer par le roi nos montres de grimauds. Je n’ai point vu le cul de Dalloz ; je ne crois pas qu’il soit digne de gratter le vôtre. Passe encore pour celui[1] à qui vous destiniez vos Grâces. Mais franchement les bontés des Genevois deviennent trop fortes depuis le soufflet donné à tour de bras, dans la rue, au président du Tillet[2]. On dit dans l’Europe que notre nation porte un peu au vent, et a l’air trop avantageux. Ces petits avertissements, que l’auguste république de Genève daigne lui donner, la corrigera sans doute, et le roi lui en aura une très-grande obligation.

Nous vous prions, Mme Denis et moi, de vouloir bien présenter nos très-humbles remerciements à monsieur le syndic de la garde et à monsieur le commandant de la sublime porte de Cornevin[3].

On dit le pain ramendé dans la superbe ville de Gex, et que le blé n’y vaut plus que 24 livres la coupe, c’est-à-dire 50 livres le setier ; c’est marché donné. Rien ne fait mieux voir la haute prudence des Welches, qui vendirent tout leur blé en 1769, ne se doutant pas qu’ils auraient faim en 1770.

Bonsoir, monsieur. L’oncle et la nièce vous font les plus tendres compliments.

  1. Le roi de Prusse.
  2. C’est en 1765 que ce fait avait eu lieu. Le président du Tillet était venu à Genève, fort malade, pour se mettre entre les mains du docteur Tronchin, et il y languissait depuis trois ans. Un citoyen de Genève, probablement dans un accès de mécontentement contre la conduite du gouvernement français envers sa patrie, lui donna un soufflet au milieu de la rue.
  3. La porte de Cornevin ou Cornavin est celle par où l’on sort de Genève pour aller à Ferney.