Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7934

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 118-119).
7934. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
24 juin 1770.

Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c’est que j’attendais toujours que la grand’maman me dictât quelque chose pour vous ; je l’en ai pressée, mais elle est d’une paresse d’esprit dont on ne peut la tirer. Elle s’en rapporte à moi pour vous dire tout ce qu’elle pense pour vous ; je serai donc son indigne interprète, mais j’aurai le mérite de vous dire la vérité en vous assurant que ses sentiments ne se bornent point à l’admiration et à l’estime, qu’elle y joint une très-véritable amitié. Elle voudrait vous satisfaire sur toutes les choses que vous désirez, et nommément sur votre affaire de Saint-Claude. Elle trouve la cause que vous défendez très-juste, mais elle ne peut vous seconder que par ses représentations et ses sollicitations ; elle est aussi reconnaissante et aussi contente que moi des cahiers que vous nous envoyez, et nous vous prions de continuer. Je serai encore du temps sans revoir cette grand’maman ; elle ne reviendra que le 17 ou le 18 de juillet, et peu de jours après elle partira pour Compiègne. La vie se passe en absences, on est toujours entre le souvenir et l’espérance ; on ne jouit jamais ; si du moins on pouvait dormir, ce ne serait que demi-mal. Dormez-vous, mon cher Voltaire ? Ce serait pour vous un temps bien mal employé ; il n’y faut donner que le pur nécessaire pour votre santé ; employez tout le reste à instruire, à éclairer, et surtout à amuser la grand’maman et sa petite-fille. Pour moi, qui ne dors point, je m’occupe souvent les nuits à repasser tous les vers que j’ai retenus ; vos épîtres au roi de Prusse, à Mme de Villars, au président, etc., ont souvent la préférence. Pourquoi ne feriez-vous pas une jolie épître pour la grand’maman ? Le sujet ne vous laisserait pas manquer d’idées.

M. de Saint-Lambert fut reçu hier à l’Académie ; il récita le second chant d’un poëme qu’il fait sur le génie : il faut en avoir beaucoup pour rendre ce sujet piquant.

Votre article des Anciens et des Modernes me fait très-grand plaisir. Vous êtes judicieux, vous avez toujours raison ; et jamais, non, jamais, vous n’êtes ni faux, ni fatigant, ni froid. Vous savez que le grand-papa a acheté toutes vos montres ; vous êtes très-bien avec lui. Il ira le 9 du mois prochain chercher la grand’maman, pour la ramener le 17 ou le 18. Je voudrais bien qu’il y eût un terme où j’aurais l’assurance de vous revoir ; mais j’ai bien peur, mon cher Voltaire, que nous n’ayons d’autre rendez-vous qu’aux champs Élysées. Nous n’aurons rien à changer à nos figures : elles se trouveront, en les conservant telles qu’elles sont, à l’unisson des ombres ; mais j’espère que la mienne verra la vôtre ; ainsi, loin de rien perdre, je compte gagner beaucoup. Bonjour, adieu ; donnez-moi de vos nouvelles. Je vous envoie une lettre, je ne sais pas de qui ; je crois cependant que c’est d’un homme qui vous estime beaucoup, et qui désire que vous l’estimiez ; il en sera ce qu’il vous plaira, mais il vous prie de m’adresser la réponse que vous lui ferez : il l’enverra chercher chez moi.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.