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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7949

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 129-130).
7949. — À M. D’ALEMBERT.
7 juillet.

J’ai un petit moment pour répondre à la lettre du 2 de juillet, par le courrier de Lyon à Versoy. Il me paraît que la littérature est comme ce monde, il y a de l’or et de la fange. Vous êtes mon or, mon cher ami.

Je crois qu’il est très-convenable que le roi de Prusse souscrive, et qu’on rende à Jean-Jacques son denier ; que la conduite de ce misérable Fréron soit approfondie, et que l’on connaisse ce folliculaire qui a été si longtemps l’oracle de Mme du Deffant.

Vous êtes l’ami de l’archevêque de Toulouse[1]. Je suis persuadé que vous l’avez mis au rang des souscripteurs, puisqu’il est notre confrère ; mais ce n’est pas assez, il faut qu’il soit au rang des vengeurs de l’innocence. Toute la jeunesse du parlement de Toulouse est devenue philosophe, et j’en reçois tous les jours des témoignages évidents ; mais les vieux sont encore des druides barbares.

Mme Calas, que j’embrassai hier avec tous ses enfants, m’apprit que le procureur général Riquet avait conclu à la faire pendre, et à rouer un de ses fils avec Lavaysse. Nous avons contre nous ce procureur général de Belzébuth dans l’affaire de Sirven. Nous demandons des dédommagements considérables, et on nous les doit. Riquet[2] s’y oppose. Pouvez-vous nous donner la protection de l’archevêque ? Il faut se lier quelquefois avec ses anciens ennemis contre des ennemis nouveaux.

Je suis un peu en guerre avec Genève, pour avoir recueilli chez moi une centaine de Genevois, et pour avoir établi sur-le-champ une manufacture considérable rivale de la leur. Je suis obligé de bâtir plus de maisons que je n’ai fait de livres. M. le duc de Choiseul me soutient de toutes ses forces, il fait son affaire de la mienne ; Mme la duchesse de Choiseul l’encourage encore, et nous lui avons les dernières obligations. La tolérance universelle est établie chez moi plus qu’à Venise.

Mme de Choiseul est intime amie de Mme du Deffant.

Vous voyez d’un coup d’œil la situation délicate où je me trouve.

Elle l’est bien davantage par rapport à votre Encyclopédie ; Panckoucke pourra vous en informer.

Voilà bien des fardeaux pour un malade de soixante-seize ans.

Mandez-moi, s’il vous plaît, si M. et Mme de Choiseul ont souscrit, ou s’ils l’ont oublié ; il est très-nécessaire qu’ils souscrivent.

Portez-vous bien, mon grand et véritable philosophe, et vivez pour faire respecter la raison et l’esprit.

N. B. Je crois la Grèce entière libre, au moment que je vous parle ; voulez-vous que nous allions y faire un tour ?

  1. Loménie de Brienne.
  2. Riquet de Bonrepos, procureur général au parlement de Toulouse.