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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7953

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 134-135).
7953. — À M. LE BARON GRIMM.
De Ferney, le 10 juillet.

Mon cher prophète, M. Pigalle, quoique le meilleur homme du monde, me calomnie étrangement ; il va disant que je me porte bien, et que je suis gras comme un moine. Je m’efforçais d’être gai devant lui, et d’enfler les muscles buccinateurs[1] pour lui faire ma cour.

Jean-Jacques est plus enflé que moi, mais c’est d’amour-propre. Il a eu soin qu’on mit, dans plusieurs gazettes, qu’il a souscrit, pour cette statue, deux louis d’or ; mes parents et mes amis prétendent qu’on ne doit point accepter son offrande.

Je vous prie de me dire si vous avez lu le Système de la Nature, et si on le trouve à Paris. Il y a des chapitres qui me paraissent bien faits, d’autres qui me semblent bien longs, et quelques-uns que je ne crois pas assez méthodiques. Si l’ouvrage eût été plus serré, il aurait fait un effet terrible ; mais, tel qu’il est, il en fait beaucoup. Il est bien plus éloquent que Spinosa ; mais Spinosa a un grand avantage sur lui, c’est qu’il admet une intelligence dans la nature, à l’exemple de toute l’antiquité, et que notre homme suppose que l’intelligence est un effet du mouvement et des combinaisons de la matière, ce qui n’est pas trop compréhensible. J’ai une grande curiosité de savoir ce qu’on en pense à Paris vous, qui êtes prophète[2], vous en pourrez dire des nouvelles mieux que personne.

Ne m’oubliez pas auprès de ma philosophe et de vos amis.

  1. Pigalle racontait à Paris que Voltaire s’était amusé à souffler des pois.
  2. Allusion à l’ouvrage de Grimm ayant pour titre le Petit Prophète de Boehmischbroda (1753), in-8°.