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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7982

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 160-161).
7982. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
3 auguste.

Mon cher philosophe militaire, vous m’aviez mandé, il y a deux mois, que vous passeriez chez nous, et je vous attendais. J’imaginais que vous alliez voir messieurs vos enfants, et ç’aurait été une grande consolation pour moi de vous embrasser sur la route. Je suis tombé dans un état de faiblesse dont j’ai l’obligation à ma vieillesse et à un travail un peu forcé ; mais il faut travailler jusqu’à la fin de sa vie. Job, un de mes patrons, dit que l’homme est né pour travailler, comme l’oiseau pour voler[1].

J’ai été tout émerveillé de la petite galanterie que vous m’avez envoyée ; j’en suis très-touché. Vous sentez combien je suis sensible à une telle marque d’amitié.

Vous ne saviez pas apparemment l’autre galanterie que les gens de lettres de Paris ont bien voulu me faire. Si vous étiez venu à Ferney, vous y auriez vu M. Pigalle, qu’ils m’ont envoyé, et qui a fait le modèle d’une statue dont ils honorent ma très-chétive figure. Je n’ai point un visage à statue ; mais enfin il a bien fallu me laisser faire. Il n’y a pas eu moyen de refuser un honneur que me font cinquante gens de lettres des plus considérables de Paris : cette faveur est rare. Ils ont fait un fonds pour donner à M. Pigalle un honoraire convenable ; j’en ai été surpris, et le suis encore. Je ne puis attribuer une chose si extraordinaire qu’au désir qu’on a eu de consoler votre ami des choses dont vous parlez. Il doit actuellement les oublier. Une statue de marbre annonce un tombeau, et j’y descendrai en vous étant aussi attaché que je l’ai été depuis que j’ai eu l’honneur de vous connaître.

  1. Job, chapitre v, verset 7.