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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7981

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7981. — DE CATHERINE II[1],
impératrice de russie.
22 juillet-2 août 1770.

Je vous ai mandé, il y a à peu près dix jours[2], que le comte Roumiantsof avait battu le kan de Crimée, combiné avec un corps de Turcs ; qu’il leur avait pris et tentes, et artillerie, sur la petite rivière nommée Larga : j’ai le plaisir aujourd’hui de vous informer qu’hier au soir un courrier du susdit comte m’a apporté la nouvelle que mon armée a remporté, le jour même que je vous écrivis (c’est-à-dire le 21 juillet), une victoire complète sur celle du sultan, commandée par le vizir Halil-bey, par l’aga des janissaires, et par sept ou huit pachas. Ils ont été forcés de nouveau dans leurs retranchements : leur artillerie, au nombre de cent trente pièces de canons, leur camp, leurs bagages, les munitions en tout genre, sont tombés entre nos mains. Leur perte est considérable ; la nôtre, si modeste que je crains d’en faire mention, afin que le fait ne paraisse fabuleux. Déjà il n’y a pas une seule personne de marque, ni même aucun officier de l’état-major blessé ou tué ; le combat cependant a duré cinq heures. Les Turcs tirent mal, et ne sont bons que pour des combats singuliers.

Le comte Roumiantsof me mande que, telle que les anciens Romains, mon armée ne demande pas : Combien y a-t-il d’ennemis ? mais seulement : Où sont-ils ? Cette fois-ci les Turcs étaient au nombre de cent cinquante mille retranchés sur les hauteurs que baigne le ruisseau Kagoul, à vingt-cinq ou trente verstes du Danube, ayant Ismaïl derrière eux.

Mais, monsieur, mes nouvelles ne se bornent pas là : j’ai des avis certains, quoiqu’ils ne soient point directs, que ma flotte a battu celle des Turcs devant Napoli-di-Romania, et qu’elle a dispersé les vaisseaux ennemis, et qu’elle en a coulé à fond plusieurs.

Le siège de Bender a été ouvert le 21 juillet. Le prince Prozorofski a fait un butin immense en bestiaux de toute espèce, entre Otchakof et Bender. Ma flotte d’Azof croît en grandeur et en espérance en face du seigneur Moustapha.

Je ne puis rien vous dire de Braïlof, sinon que c’est un vieux château sur le bord du Danube, mais j’espère de ne pas vous laisser manquer de bonnes nouvelles.

Il ne dépend que des Grecs de faire revivre la Grèce. J’ai fait mon possible pour orner les cartes géographiques de la communication de Corinthe Moscou. Je ne sais ce qui en sera.

Il faut que je vous conte que Moustapha a eu recours aux prophètes, aux sorciers, aux fous, qui passent pour saints chez les musulmans. Ils lui ont prédit que le 24 serait un jour extrêmement fortuné pour l’empire ottoman. Nous verrons un peu si les revers, les tromperies et les mensonges, pourront ramener ce prince à la raison.

Vos chers Grecs ont donné dans plusieurs occasions des preuves de leur ancien courage, et l’esprit ne leur manque pas.

  1. Collection de Documents, Mémoires et Correspondances publiée par la Société impériale de l’Histoire de Russie, tome XV, page 25.
  2. Lettre 7966.