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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7992

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 170-171).
7992. — À M. D’ALEMBERT.
11 auguste.

Mon cher philosophe, mon cher ami, vous êtes donc dégoûté de Paris : car assurément on ne se porte pas mieux sur les bords du Tibre que sur ceux de la Seine. M. de Fontenelle, à qui vous tenez de fort près, a vécu cent ans, sans en avoir eu l’obligation à Rome ; mais enfin ognuno faccia secundo il suo cervello.

Je souhaite que Denys[1] fasse ce que vous savez ; mais je doute que le viatique soit assez fort pour vous procurer toutes les commodités et tous les agréments nécessaires pour un tel voyage ; et si vous tombez malade en chemin, que deviendrez-vous ?

Ma philosophie est sensible ; je m’intéresse tendrement à vous ; je suis bien sûr que vous ne ferez rien sans avoir pris les mesures les plus justes.

Un de mes amis[2], qui n’est pas Denys, a fait imprimer une réponse fort honnête au Système de la Nature ; je compte vous l’envoyer par la première poste. Il ne faudra vraiment pas l’envoyer à Denys : il n’en serait pas content, non-seulement parce qu’il en a fait une qui est sans doute meilleure, mais par une autre raison.

On me mande que le ministère a donné quatre à cinq mille livres de rente à des gens de lettres sur l’évêché[3] de Fréron cet homme, qui ne devrait être qu’évêque des champs, a donc vingt-quatre mille livres de rente pour dire des sottises  !


Sæpe mihi dubiam traxit sententia mentem,
Curarent superi terras, an nullus inesset
Rector, et incerto fluerent mortalia casu.

(Claudianus, I, in Rufinum.)

Je vous embrasse du fond de mon cœur.

  1. Le roi de Prusse.
  2. Voltaire lui-même ; voyez la note 1, page 153.
  3. L’Année littéraire. On ne pouvait alors, en France, publier des journaux sans la permission de l’autorité, qui se réservait d’assigner des pensions sur leur produit.