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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7994

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 171-172).
7994. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 15 auguste.

Je me dis toujours, monseigneur, que vos occupations et vos plaisirs partagent vos journées, que je ne dois pas fatiguer vos bontés, et qu’il n’appartient pas à ceux qui sont morts au monde d’écrire aux vivants.

Cependant il faut que je vous informe d’un gros paquet que j’ai reçu, et qui vous regarde ; il est d’un M. de Castera, qui me paraît très-malheureux, et qui me fait juger, par son style, qu’il s’est attiré ses malheurs. Je doute même si sa tête n’est pas aussi dérangée que ses lettres sont prolixes. En ce cas il n’est que plus à plaindre. Il m’a mis au fait de toute sa conduite avec assez de naïveté. Je présume, à la quantité de procès qu’il a essuyés, qu’il descend en droite ligne de la comtesse de Pimbesche[1]. S’il a dit des injures, on les lui a bien rendues.

Je vois, par tout ce qu’il me mande, que sa plus grande ambition est de rentrer dans vos bonnes grâces. Sa destinée me paraît déplorable ; c’est un homme chargé de onze enfants. Je m’acquitte du devoir de l’humanité en vous rendant compte de son état, sans prétendre le justifier auprès de vous, ni vous demander autre chose que ce que votre sagesse et votre justice vous prescrivent. Vous connaissez l’homme dont il s’agit, et c’est à vous seul de voir ce que vous devez faire. Il me semble qu’il avait un oncle chargé des affaires de France en Pologne ; c’est tout ce que je connais de sa famille.

Après avoir achevé la mission que m’a donnée M. de Castera, que puis-je dire à mon héros du fond de ma solitude, sinon que je lui souhaite une santé meilleure que la mienne, et des jours plus brillants ? Il ne m’appartient pas de parler des tracasseries de la France. Je m’intéressais fort à celles des Turcs, c’est-à-dire que je souhaitais passionnément qu’on les chassât de l’Europe, parce qu’ils ont asservi les descendants des Alcibiade et des Sophocle. J’entends dire que ces circoncis ont repris le Péloponèse en ce cas, je me raccommoderai avec eux, car j’ai établi, des débris de Genève, une petite société qui est fort en relation avec Constantinople.

J’aimerais encore mieux de bons acteurs et de bonnes pièces au théâtre de Paris, sous la protection du premier gentilhomme de la chambre ; mais cette manufacture paraît furieusement tombée.

Me permettez-vous, monseigneur, de me mettre aux pieds de Mme la comtesse d’Egmont, quoiqu’elle soit alliée à la maison d’un pape ? Vous devez juger combien j’ambitionne ses bontés, puisqu’elle a toutes les grâces de votre esprit, sans compter les autres.

Agréez, avec votre bienveillance ordinaire, le très-tendre respect du vieux solitaire des Alpes.

  1. Personnage de la comédie des Plaideurs.