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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8009

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 184-185).
8009. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
Ferney, 27 auguste.

Madame, après avoir embelli votre royaume de Chanteloup par vos bienfaits, vous venez encore, M. le duc de Choiseul et vous, d’étendre vos grâces sur notre hameau de Ferney. Peut-être apprendrez-vous tous deux, avec quelque satisfaction, que nos émigrants ont donné pour la Saint-Louis une petite fête qui a consisté en un très-bon souper de cent couverts, avec illumination, feu d’artifice, et des vive le roi ! sans fin. Peut-être même monsieur le duc ne sera pas fâché d’apprendre au roi qu’il est aimé et célébré par ses nouveaux sujets comme par les anciens.

Vos noms, madame, n’ont été oubliés ni en buvant, ni dans le feu d’artifice.


Nous étions tous fort attendris,
Voyant, du fond de nos tanières,
Des Choiseul les beaux noms écrits
En caractères de lumières
Sur nos vieux chênes rabougris,
Et parmi nos sèches bruyères.


C’était un plaisir de voir nos huguenots et nos papistes être tous de la même religion, et montrant à leurs bienfaiteurs la même reconnaissance.


Rien n’est plus selon mon humeur
Que de voir ces bons hérétiques
Boire et chanter de si grand cœur
Avec nos pauvres catholiques.

Dans cet asile du bonheur,
Le prêche est ami de la messe ;
Ils se sont dit : Vivons heureux,
Et tolérons avec sagesse
Ceux qui se moquent de nous deux.

Que j’aime à voir notre vicaire
Appliquer assez pesamment
Un baiser, près du sanctuaire,
À la femme du prédicant !

On voit bien après cela, monseigneur, qu’il n’y a pas moyen de refuser un édit de tolérance. Nos colons, vos protégés, se mettent à vos pieds, et nous supplions tous notre bienfaiteur et notre bienfaitrice d’agréer nos profonds respects et notre reconnaissance.

Le vieil Ermite de Ferney, secrétaire.