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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8010

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8010. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 28 auguste.

Madame, mes craintes sont dissipées, malgré tous les efforts des dissidents de Pologne et des gazetiers des autres pays ; votre victoire complète remportée sur les Ottomans auprès du Pruth est une terrible réponse.

Que Votre Majesté impériale me permette de lui témoigner l’excès de ma joie. Je ne suis plus en peine de la Grèce, sur laquelle on me donnait tant d’alarmes. Je vous crois toujours maîtresse de Navarin et de plusieurs autres places. Il n’est pas croyable que vos troupes aient évacué ce pays, comme on le dit, lorsque vous battez les Turcs sur mer comme sur terre ; et quand même la division de vos forces vous obligerait de différer ou même d’abandonner la conquête de la Grèce, ce serait toujours une entreprise qui vous comblerait de gloire. Je maintiens qu’il ne s’est rien fait de si grand depuis Annibal ; et cet Annibal, qui fut enfin contraint de retourner en Afrique, n’en a pas moins de réputation. Quand vous n’auriez réussi qu’à porter la terreur aux portes de Constantinople, à mener vos troupes jusqu’auprès de Corinthe, et à peupler vos États d’un grand nombre de familles grecques, vous auriez eu encore un grand avantage ; mais votre dernière victoire me fait tout espérer.

Si vous voulez pousser vos conquêtes, vous les étendrez, je pense, où il vous plaira ; et si vous voulez la paix, vous la dicterez. Pour moi, je veux toujours que Votre Majesté aille se faire couronner à Constantinople. Pardonnez-moi cette opiniâtreté ; elle est presque aussi forte que celle avec laquelle je suis attaché à votre personne et à votre gloire et puisque vous êtes devenue ma passion dominante, je me flatte que Votre Majesté impériale daignera toujours recevoir avec bonté le profond respect et le dévouement inviolable du vieux ermite de Ferney.