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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8052

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 226-227).
8052. — À M. MOULTOU[1].
17 octobre 1770.

J’ai obéi à vos ordres, j’ai fait des remarques à mesure, croyant qu’il s’agissait d’un procès ; mais, mon cher philosophe, après avoir tout lu, j’ai vu que c’était une dissertation pour prouver que nos lois ont tort : rien n’est plus manifeste ; mais il est manifeste aussi que ces lois existent. Je souhaite que le parlement d’Aix les casse. Je n’y manquerais pas si j’avais la voix prépondérante ; mais je doute fort qu’il prenne cette petite liberté.

Je ne doute pas moins de la visite du secrétaire à milord Elphinstone.

Je doute aussi beaucoup de la guerre dont on parle tant à Londres ; mais je ne doute pas que la pièce d’éloquence dont vous me parlez ne soit sifflée.

Je suis très-fâché que vous ne soyez point venu dîner avec nous quand M. d’Alembert était à Ferney.

Quant à l’auteur de la dissertation sur les mariages[2], vous pouvez l’assurer qu’on se mariera à Versoy et à Ferney tant qu’on voudra, et qu’il pourra venir danser à la noce[3]. Si le parlement de Provence veut en attendant déroger aux édits et valider vos mariages, je lui en ferai mon compliment.

  1. Éditeur, A Coquerel.
  2. Mariages des protestants ; nous ne savons à laquelle des nombreuses dissertations qui paraissaient alors sur ce sujet Voltaire fait allusion.
  3. M. Henri Fazy, conservateur du musée de Genève, a lu en 1862, dans la réunion annuelle de la Société de l’Histoire de la Suisse romande, qui siégeait alors à Yverdon, un mémoire sur Versoy. Voltaire et le duc de Choiseul voulaient établir dans ce lieu, situé au bord du Léman, entre Genève et Coppet, une fabrique d’horlogerie qui devait rivaliser avec celle de Genève et la supplanter. Il fallait pour cela attirer à Versoy nombre d’ouvriers genevois et protestants, en leur accordant une entière liberté de conscience et de culte. Ce projet souriait tout particulièrement à Voltaire, qui tressaillait à l’idée d’établir sur un point quelconque de la France le règne de cette tolérance philosophique dont il était le champion passionné.

    Voltaire, dans notre lettre, fait allusion à ce projet et à la liberté qu’auront les protestants de faire célébrer leurs mariages à Versoy et à Ferney. (Note du premier éditeur.)