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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8088

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 256-257).
8088. — À M. D’ALEMBERT.
23 novembre.

De tous les malades, mon cher philosophe, le plus ambulant c’est vous, et le plus sédentaire c’est moi.

J’ai d’abord à vous dire que votre archevêque de Toulouse, si tolérant, a fait mourir par son intolérance le pauvre abbé Audra, l’intime ami de l’abbé Mords-les et le mien. Il a fait un mandement cruel contre lui[1], et a sollicité sa destitution de la place de professeur en histoire, qui lui valait plus de mille écus par an. Cette aventure a donné la fièvre et le transport au pauvre abbé ; il est mort au bout de quatre jours : je viens d’en apprendre la nouvelle ; on me l’avait cachée pendant plus de six semaines[2]. Vous voyez, mon cher ami, que les philosophes n’ont pas beau jeu en France.

Voici une petite persécution à la Décius contre notre primitive Église ; mais nous avons pour nous l’empereur de la Chine, l’impératrice Catherine II, le roi de Prusse, le roi de Danemark, la reine de Suède et son fils, beaucoup de princes de l’Empire, et toute l’Angleterre. Dieu aura toujours pitié de son troupeau.

Je crois que vous feriez fort bien de donner pour successeur à Moncrif[3] M. Gaillard, au lieu d’un archevêque, à condition qu’il ne parlera pas des cantiques sacrés que ce Moncrif faisait pour la reine. Ne m’oubliez pas auprès de votre compagnon de voyage ; et quand vous n’aurez rien à faire, mandez-moi si vous êtes revenu en bonne santé. Je vous embrasse le plus tendrement du monde.

  1. Voyez tome XI, page 497.
  2. Voyez tome XLVI, page 235.
  3. Mort le 12 novembre 1770, à quatre-vingt-trois ans.