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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8125

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 286-288).
8125. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
16 décembre.

Je m’en étais douté : il y a trente ans que son âme n’était que molle, et point du tout sensible ; qu’il concentrait tout dans sa petite vanité ; qu’il avait l’esprit faible et le cœur dur ; qu’il était content pourvu que la reine trouvât son style meilleur que celui de Moncrif, et que deux femmes se le disputassent ; mais je ne le disais à personne. Je ne disais pas même que ses Étrennes Mignonnes[1] ont été commencées par Dumolard et faites par l’abbé Boudot.

Je reprends toutes les louanges que je lui ai données.


Je chante la palinodie ;
Sage du Deffant, je renie
Votre président et le mien.
À tout le monde il voulait plaire ;
Mais ce charlatan n’aimait rien ;
De plus, il disait son bréviaire.


Je voudrais, madame, que vous sussiez ce que c’est que ce bréviaire, ce ramas d’antiennes et de répons en latin de cuisine !

Apparemment que le pauvre homme voulait faire sa cour à Dieu, comme à la reine, par de mauvais vers.

Je suis dans la plus grande colère ; je suis si indigné que je pardonne presque au misérable La Beaumelle d’avoir si maltraité les Étrennes Mignonnes du président[2]. Quoi ! ne pas vous laisser la moindre marque d’amitié dans son testament, après vous avoir dit pendant quarante ans qu’il vous aimait !

Sa petite âme ne voulait qu’une réputation viagère. Je suis très-persuadé que l’âme noble de votre grand’maman trouvera cela bien infâme.

Vous voulez des vers pour la Bibliothèque bleue[3] ; vous vous adressez très-bien. En voici qui sont dignes d’elle :


La belle Maguelonne avec Robert le Diable
Valaient peut-être au moins les romans de nos jours.
Ils parlaient de combats, de plaisirs et d’amours.
Mais tout ce papier bleu, quoique très-estimable,
Mais toutN’est plus regardé qu’en pitié ;
Mon cœur en a senti la cause véritable :
Mais toutOn n’y parle point d’amitié.


N’est-il pas vrai, madame, que nous n’aurons point la guerre ? C’est une obligation que la France aura encore au mari de votre grand’maman.

Je veux que vous m’écriviez dorénavant à cœur ouvert : nous n’avons rien à dissimuler[4] ensemble ; mais, quelque chose que vous ayez la bonté de m’écrire, faites contre-signer par votre grand’maman, ou envoyez votre lettre chez M. Marin, secrétaire général de la librairie, rue des Filles-Saint-Thomas, qui me la fera tenir très-sûrement ; le tout pour cause.

  1. Ce titre d’un almanach qui donnait la liste des souverains de l’Europe désigne ici l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France du président.
  2. Dans l’Examen critique de la nouvelle Histoire de Henri IV ; voyez tome XLVI, page 115.
  3. On appelle ainsi la réunion des romans intitulés Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne : Histoire de Robert le Diable ; Histoire des quatre fils Aymon ; Histoire de la belle Hélène, Huon de Bordeaux, etc.
  4. Voltaire veut sans doute faire allusion à ces vers de Quinault (Atys, acte I, scène vi) :

    Qui n’a plus qu’un moment à vivre
    N’a plus rien à dissimuler.