Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8125
Je m’en étais douté : il y a trente ans que son âme n’était que molle, et point du tout sensible ; qu’il concentrait tout dans sa petite vanité ; qu’il avait l’esprit faible et le cœur dur ; qu’il était content pourvu que la reine trouvât son style meilleur que celui de Moncrif, et que deux femmes se le disputassent ; mais je ne le disais à personne. Je ne disais pas même que ses Étrennes Mignonnes[1] ont été commencées par Dumolard et faites par l’abbé Boudot.
Je reprends toutes les louanges que je lui ai données.
Je chante la palinodie ;
Sage du Deffant, je renie
Votre président et le mien.
À tout le monde il voulait plaire ;
Mais ce charlatan n’aimait rien ;
De plus, il disait son bréviaire.
Je voudrais, madame, que vous sussiez ce que c’est que ce bréviaire, ce ramas d’antiennes et de répons en latin de cuisine !
Apparemment que le pauvre homme voulait faire sa cour à Dieu, comme à la reine, par de mauvais vers.
Je suis dans la plus grande colère ; je suis si indigné que je pardonne presque au misérable La Beaumelle d’avoir si maltraité les Étrennes Mignonnes du président[2]. Quoi ! ne pas vous laisser la moindre marque d’amitié dans son testament, après vous avoir dit pendant quarante ans qu’il vous aimait !
Sa petite âme ne voulait qu’une réputation viagère. Je suis très-persuadé que l’âme noble de votre grand’maman trouvera cela bien infâme.
Vous voulez des vers pour la Bibliothèque bleue[3] ; vous vous adressez très-bien. En voici qui sont dignes d’elle :
La belle Maguelonne avec Robert le Diable
Valaient peut-être au moins les romans de nos jours.
Ils parlaient de combats, de plaisirs et d’amours.
Mais tout ce papier bleu, quoique très-estimable,
N’est plus regardé qu’en pitié ;
Mon cœur en a senti la cause véritable :
On n’y parle point d’amitié.
N’est-il pas vrai, madame, que nous n’aurons point la guerre ? C’est une obligation que la France aura encore au mari de votre grand’maman.
Je veux que vous m’écriviez dorénavant à cœur ouvert : nous n’avons rien à dissimuler[4] ensemble ; mais, quelque chose que vous ayez la bonté de m’écrire, faites contre-signer par votre grand’maman, ou envoyez votre lettre chez M. Marin, secrétaire général de la librairie, rue des Filles-Saint-Thomas, qui me la fera tenir très-sûrement ; le tout pour cause.
- ↑ Ce titre d’un almanach qui donnait la liste des souverains de l’Europe désigne ici l’Abrégé chronologique de l’Histoire de France du président.
- ↑ Dans l’Examen critique de la nouvelle Histoire de Henri IV ; voyez tome XLVI, page 115.
- ↑ On appelle ainsi la réunion des romans intitulés Histoire de Pierre de Provence et de la belle Maguelonne : Histoire de Robert le Diable ; Histoire des quatre fils Aymon ; Histoire de la belle Hélène, Huon de Bordeaux, etc.
- ↑ Voltaire veut sans doute faire allusion à ces vers de Quinault (Atys, acte I, scène vi) :
Qui n’a plus qu’un moment à vivre
N’a plus rien à dissimuler.