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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8139

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8139. — À CATHERINE II,
impératrice de russie.
À Ferney, 22 décembre.

Madame, ma passion commence à être un peu malheureuse. Je ne sais plus de nouvelles ni de Votre Majesté impériale, ni de mon ennemi Moustapha. Tout ce que je puis faire cette fois-ci, c’est de vous ennuyer de mon petit commerce avec le roi de la Chine votre voisin#1.

Je me suis imaginé que les pluies du mois de décembre, la crainte de la peste, et celle de la famine, pourraient suspendre le cours de vos conquêtes, et que Votre Majesté aurait peut-être le temps de s’amuser d’une espèce de petite Encyclopédie#2 nouvelle qui paraît devers le mont Jura. Il y est parlé de votre très-admirable personne dès la page 17 du premier tome#3, à propos de l’Alphabet. Il faut que l’auteur soit bien plein de vous, puisqu’il vous met partout où il peut.

Je ne sais pas quel est cet auteur, mais sans doute c’est un homme à qui vous avez marqué de la bonté, et qui doit parler de Votre Majesté au mot Reconnaissance#4.

Il y a, dit-on, en France des gens qui trouvent cela mauvais ; mais l’univers entier devrait le trouver bon, et si j’étais un peu votre victime, j’en serais bien glorieux.

Il n’y a encore que trois volumes d’imprimés. On les a envoyés par les voitures publiques à votre surintendant des postes, avec l’adresse de Votre Majesté impériale.

Je prends la liberté de vous parler d’une fabrique de montres établie à Ferney, et de vous offrir ses services lorsque Votre Majesté, en accordant la paix à Moustapha, voudra lui faire la faveur de lui envoyer une montre avec son portrait. Il pourra trembler, mais aussi il pourra être attendri. En un mot, ma fabrique de montres est à votre service : si j’étais jeune, je la conduirais moi-même à Saratof.

Le roi de Prusse prétend qu’Ali-bey n’est point du tout roi d’Égypte ; c’est encore une raison pour faire la paix avec cette<rf>Épître au roi de la Chine ; voyez tome X, page 412.</ref>[1][2][3][4] maudite puissance ottomane, dont tant de gens prennent le parti. Je mourrai certainement de douleur de ne vous pas voir sur le trône de Constantinople. Je sais bien que la douleur ne fait mourir que dans les romans ; mais aussi vous m’avez inspiré une passion un peu romanesque, et il faut qu’avec une impératrice telle que vous mon roman finisse noblement. J’emporterai avec moi la consolation de vous avoir vue souveraine des deux bords de la mer Noire et de ceux de la mer Égée.

Daignez agréer, malgré toutes mes déclarations, le très-profond respect de l’ermite de Ferney.

  1. Les Questions sur l’Encyclopédie.
  2. Voyez tome XVII, page 14.
  3. Il n’y a point d’article sous ce mot dans les Questions sur l’Encyclopédie.
  4. Voyez lettre 8106.