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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8172

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 320-321).
8172. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL[1].
11 janvier.

Eh bien ! madame, vous aurez des marcassites montées sur de l’argent avec crochet d’or. C’est sur cela qu’on attendait vos ordres pour travailler, parce qu’il faut que le metteur en œuvre travaille pour la montre : il y a longtemps qu’elle est commencée. Savez-vous bien qu’il faut cinquante paires de mains pour faire une montre, et que ce n’est pas une petite affaire d’avoir établi trois fabriques dans un village, en neuf mois de temps ?

Je persiste toujours à croire qu’il est très-permis d’écrire des balivernes à des dames qui sont, comme moi, à la campagne au mois de janvier.

À propos de balivernes, j’en attends cinq, et même six, que je vous ai suppliée de vouloir bien me renvoyer. Je vous avais bien dit qu’il fallait absolument vingt-deux jours à ce jeune homme ; il les a employés le mieux qu’il a pu pour plaire à mes anges. Cette plaisanterie devient très-sérieuse. Il faudrait, avant que je mourusse, que j’enterrasse Crébillon, qui m’avait enterré. J’ai revu son Atrée ; cela m’a paru le tombeau du sens commun, de la grammaire et de la poésie. On croirait que c’est l’ouvrage d’un Vandale qui a quelque génie, et qui a mal appris notre langue. Ce sera à vous à voir s’il faudra mettre le duc de Duras dans la confidence.

Au reste, ne croyez pas que je fasse ces tours de force tous les six mois ; j’ai baissé beaucoup depuis ce temps-là, et j’ai pensé mourir ces jours-ci.

Je vous supplie, quand vous écrirez à votre ami[2], de vouloir bien lui dire qu’il y a un vieux sorcier, au milieu des neiges de la Suisse, qui lui est attaché pour le reste de sa vie.

Mille tendres respects à mes deux anges.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Praslin.