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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8216

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 361-362).
8216. — À M. SERVAN[1].
22 février.

Monsieur, j’ai recours à vous. J’ai été volé, et je vous supplie de me faire rendre justice. Ce n’est pourtant pas au nom du roi, quoique vous soyez son avocat général ; c’est au nom de la raison et de l’humanité. On m’a pris ce que j’avais de plus précieux : votre plaidoyer en faveur de cette pauvre femme huguenote, à qui vous fîtes donner des dédommagements par son indigne mari catholique, et votre discours de rentrée sur les devoirs de la magistrature.

Si vous ne daignez pas, monsieur, me faire présent de ces deux ouvrages, vous serez cause que je ferai une mauvaise action, car je vous avertis que je les volerai au premier qui en sera possesseur. Quelqu’un a dit : Panem nostrum substantialem da nobis hodie. Je vous fais la même prière à bien plus juste titre.

Nous avons eu à Ferney un de vos confrères les avocats généraux, tout fraîchement arrivé d’un beau château qu’on nomme Pierre-Cise ou Pierre-Encise[2]. C’est un favori que le maître de la maison aime si fort qu’il en a été jaloux, et qu’il n’a voulu le laisser parler à personne pendant tout le temps qu’il l’a eu dans sa maison. C’est un grand avantage que les Français ont sur les Anglais d’être logés et hébergés aux dépens du patron, sans qu’il leur en coûte rien pour leur voyage et pour leur nourriture. Il faut avouer qu’on ne trouve point ailleurs une pareille politesse.

Ayez soin de votre santé, monsieur, et n’oubliez pas, dans votre livre sur notre jurisprudence, de rendre toute la justice qui est due à un si généreux établissement.

Je vous demande en grâce de faire un petit paquet de tout ce qu’on a imprimé de vous, et de me l’envoyer par le coche de Versoy, par Lyon. Vous contribuerez à la guérison d’un vieux malade, qui a plus de foi en vous qu’en M. Tissot. Agréez les tendres respects de votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Le vieil Ermite du mont Jura.

  1. Editeurs, de Cayrol et François.
  2. Prison d’État où l’avocat général Dupaty fut enfermé après la dissolution des parlements.