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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8227

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 371).
8227. — À M. LE COMTE DE LA TOURAILLE[1].
1er mars.

Les cadets, monsieur, ne doivent point marcher devant les aînés. Laissez-moi, s’il vous plaît, l’honneur qui m’appartient. J’ai soixante-dix-sept ans. Vous vous vantez d’avoir la goutte, comme si je ne l’avais pas ! Êtes-vous entouré, comme moi, d’une circonférence de cinquante lieues de neiges, qui vous rendent absolument aveugle pendant quatre mois de l’année ? C’est bien à vous vraiment à parler de partir avant moi ! Non, monsieur, nous ne verrons point, dans le pays où nous allons, les Frérons et les Desfontaines dont vous parlez ; ils sont dans le Tartare avec Sisyphe, et nous irons dans les champs Élysées converser avec Horace et Tibulle.

Vous comptez parmi vos maux l’absence de mon bienfaiteur[2] ; c’est encore une conformité que j’ai avec vous, et celle qui m’est la plus sensible.

Quand vous serez quitte de votre goutte, monsieur, je vous supplie de me mettre aux pieds de Monseigneur le prince de Condé.

Le vieil Ermite de Ferney.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Choiseul.