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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8238

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 381-382).
8238. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
11 mars.

Je vous renvoie, mon cher ange, le cinquième service du souper d’Atrée[1], car il faut bien vous renvoyer quelque chose, et il m’est impossible de rien faire du manuscrit que j’ai reçu de M. de Thibouville, concernant M. Lantin[2]. Je suis absolument aveugle, et quand j’aurais les meilleurs yeux du monde, je n’aurais pas pu déchiffrer son horrible griffonnage ; mais quand il se serait servi d’un secrétaire de ministre, je n’y aurais rien compris. Je m’en suis fait lire quelques lignes ; la première commence ainsi :


Vous savez, Scipion, si vous m’avez aimée[3].


Au diable si jamais Scipion a aimé cette drôlesse ; et quand il l’aurait aimée, il ne fallait pas assurément qu’elle lui fit de telles agaceries. Ce vers n’est pas de moi ; il y en a aussi quelques autres qui n’en sont pas. En un mot, je n’y entends rien. Je sais bien que je ne suis pas dans ma patrie, et que je mourrai dans une terre étrangère ; mais il ne faut pas qu’on dénature ainsi mon bien de mon vivant.

Si vous avez quelque goût pour la besogne de M. Lantin, il faudrait lui envoyer l’exemplaire que M. Lekain a reçu en dernier lieu, sans quoi il ne pourra plus savoir où il en est, s’étant malheureusement dessaisi du seul exemplaire corrigé qui lui restât ; mais les Pelopides sont, à mon gré, un ouvrage bien autrement important ; il serait fort aisé de le faire représenter aux noces de Mme la comtesse de Provence. La mort de ma nièce de Florian m’obligerait alors de faire un voyage à Paris, et le délabrement de mes affaires serait un nouveau motif ; mais vous savez que mon cœur en aurait un autre bien plus pressant. Vous savez qu’il y a vingt-deux ans que je n’ai eu la consolation de vous voir ; je ne doute pas que vous n’ayez quelque scribe sous la main qui puisse transcrire les Pelopides.

  1. Des Pelopides.
  2. C’est sous le nom de Lantin que Voltaire donnait Sophonisbe.
  3. Ce vers, n’étant pas de Voltaire, n’a pas été mis dans les variantes.