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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8295

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Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 440).
8295. — À M. L’ABBÉ ARNAUD.
À Ferney, 1er juin.

Il y avait longtemps, monsieur, que nous étions confrères. Nous avions souvent pensé de même dans la Gazette étrangère[1], et je pense absolument comme vous sur tout ce que vous dites des langues dans votre discours[2] aussi utile que sage et éloquent.

Il est très-vrai que notre langue s’est formée très-tard, et que cet édifice n’est bâti qu’avec des débris. Voilà pourquoi Racine et Boileau, qui ont fait un palais régulier, sont des hommes admirables : aussi on fait à présent en Angleterre une nouvelle édition magnifique de Boileau, et on n’en fera jamais de Bourdaloue ni de Massillon. Soyez très-sûr que si on parle aujourd’hui français à Moscou et à Copenhague, ce n’est pas à Pascal même qu’on en a l’obligation.

Notre droguet ne vaut pas le velours d’Athènes, mais on l’a si bien brodé qu’il est à la mode dans toute l’Europe. Vous savez que tous les gens de lettres apprennent aujourd’hui l’anglais, langue plus irrégulière que la nôtre, beaucoup plus dure et plus difficile à prononcer ; et ce n’est que depuis Pope qu’on apprend l’anglais.

Dieu me garde de n’être que le cousin du meilleur de mes frères, dont j’ambitionne l’estime et l’amitié plus que le titre de cousin du roi ! Je vous donnerai du respect dans cette première lettre ; mais si les maux qui m’accablent me permettent encore de vous écrire, je bannirai les cérémonies, qui ne conviennent pas aux philosophes.

  1. C’est-à-dire la Gazette littéraire, à laquelle Voltaire donna des articles ; voyez tome XXV, page 151.
  2. Pour sa réception à l’Académie française le 13 mai.