Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8340

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 485-486).
8340. — DE CATHERINE II,
impératrice de russie
Le 16-27 juillet.

Monsieur, je crois vous avoir mandé[1] la prise des lignes de Pérékop par assaut, et la fuite du kan de Crimée à la tête de soixante mille hommes, et la réduction du fort d’Orka, qui s’est rendu par accord le 14 juin. Après cela mon armée entra sur trois colonnes en Crimée : celle de la droite s’empara de Koslof, port sur la mer Noire ; celle du milieu, que commandait le prince Dolgorouki en personne, marcha vers Karasbasar, où il reçut une députation des chefs des ordres de la Crimée, qui proposèrent une capitulation pour toute la presqu’île. Mais comme leurs députés tardèrent à revenir, le prince Dolgorouki s’avança vers Caffa, autre port sur la mer Noire. Là il attaqua le camp turc, dans lequel il y avait vingt-cinq mille combattants, qui s’enfuirent sur les vaisseaux qui les avaient amenés. Le sérasquier Ibrahim-pacha, étant resté seul, envoya pour capituler ; mais le prince lui fit dire qu’il devait se rendre prisonnier de guerre, ce qu’il fit.

Nos troupes entrèrent donc dans Caffa, tambour battant, le 29 juin. En attendant, la colonne gauche avait traversé la langue de terre qui est entre la mer d’Azof et la Crimée, d’où l’on envoya un détachement qui s’empara de Kertz et de Senikale, ce qui se fit tout de suite : de façon que notre flotte d’Azof, qui se tenait dans le détroit, prête à le passer, doit être à l’heure qu’il est à Caffa. Le prince Dolgorouki m’écrit qu'à la vue du port il y a trois pavillons russes qui croisent.

Je me hâte de vous mander ces bonnes nouvelles que j’ai reçues ce matin, sachant la part que vous y prendrez. Vous excuserez aussi, en faveur de ces nouvelles, le peu d’ordre que j’ai mis dans cette lettre, que je vous écris fort à la hâte.

Il ne reste à l’ennemi, dans la Crimée, que deux ou trois méchants petits forts : les places de conséquence sont emportées, et je dois recevoir incessamment la capitulation signée par les Tartares.

Si après cela, monsieur, le sultan n’en a pas assez, on pourra lui en donner encore, et d’une autre espèce.

Soyez assuré de mon amitié, et de l’estime distinguée que j’ai pour vous.

Catherine

  1. Lettre 8323.