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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8380

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 520-521).
8380. — À M. AUDIBERT.
À Ferney, 2 octobre.

Mille remerciements, monsieur, de toutes vos bontés ; c’est en avoir beaucoup que de daigner descendre, comme vous faites, dans toutes les minuties de ma cargaison. Je félicite de tout mon cœur vos Marseillais d’avoir si bien profité de la mauvaise spéculation des Anglais, et de faire si bien leurs affaires avec les Ottomans, qui font fort mal les leurs. Moi, qui vous parle, je soutiens actuellement un commerce que j’ai établi entre Ferney et la Sublime Porte. J’ai envoyé à la fois des montres à Sa Hautesse Moustapha et à Sa Majesté impériale russe, qui bat toujours Sa pauvre Hautesse ; et je fais bien plus de cas de ma correspondance avec Catherine II qu’avec le commandeur des croyants. C’est une chose fort plaisante que j’ai bâti vingt maisons dans mon trou de Ferney pour les artistes de Genève, qu’on a chassés de leur patrie à coups de fusil. Il se fait actuellement, dans mon village, un commerce qui s’étend aux quatre parties du monde ; je n’y ai d’autre intérêt que celui de le faire fleurir à mes dépens. J’ai trouvé qu’il était assez beau de se ruiner ainsi de fond en comble avant que de mourir.

Voudriez-vous bien, monsieur, quand vous serez de loisir, me mander s’il est vrai que la flotte russe ait brûlé toute la flotte turque dans le port de Lemnos ; qu’Ali-bey ait repris Damas et Jérusalem la sainte ; si le comte Orlof a repris Négrepont, et si Raguse s’est mis sous la protection du saint Empire romain.

Le commerce de Marseille ne souffre-t-il pas un peu de toutes ces brûlures et de tous ces ravages ?

Je vous réitère mes remerciements, et tous les sentiments avec lesquels, etc.