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Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8395

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Correspondance de Voltaire/1771
Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 534-535).
8395. — À M. BOURGELAT[1].
À Ferney, 26 octobre.

En lisant, monsieur, la savante dissertation que vous avez eu la bonté de m’envoyer, sur la vessie de mon bœuf, vous m’avez fait souvenir du bœuf du quatrième livre des Géorgiques, dont les entrailles pourries produisaient un essaim d’abeilles. Les perles jaunes que j’avais trouvées dans cette vessie me surprenaient surtout par leur énorme quantité, car je n’en avais pas envoyé à Lyon la dixième partie. Cela m’a valu de votre part des instructions dont un agriculteur comme moi vous doit les plus sincères remerciements : voilà le miel que vous avez fait naître.

Je suis toujours effrayé et affligé de voir les vessies des hommes et des animaux devenir des carrières, et causer les plus horribles tourments, et je me dis toujours : Si la nature a eu assez d’esprit pour former une vessie et tous ses accompagnements, pourquoi n’a-t-elle pas eu assez d’esprit pour la préserver de la pierre ? On est obligé de me répondre que cela n’était pas en son pouvoir, et c’est précisément ce qui m’afflige.

J’admire surtout votre modestie éclairée, qui ne veut pas encore décider sur la cause et la formation de ces calculs. Plus vous savez, et moins vous assurez. Vous ne ressemblez pas à ces physiciens qui se mettent toujours sans façon à la place de Dieu, et qui créent un monde avec la parole. Rien n’est plus aisé que de former des montagnes avec des courants d’eau, des pierres calcaires avec des coquilles, et des moissons avec des vitrifications ; mais le vrai secret de la nature est un peu plus difficile à rencontrer.

Vous avez ouvert, monsieur, une nouvelle carrière par la voie de l’expérience ; vous avez rendu de vrais services à la société : voilà la bonne physique. Je ne vois plus que par les yeux d’autrui, ayant presque entièrement perdu la vue à mon âge de soixante-dix-huit ans ; et je ne puis trop vous remercier de m’avoir fait voir par vos yeux.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Directeur général des écoles royales vétérinaires, commissaire général des haras, correspondant de l’Académie royale des sciences de Paris, membre de l’Académie royale des sciences et belles-lettres de Prusse. La France lui a l’obligation des écoles vétérinaires, dont il est le créateur. (K.) Claude Bourgelat, né à Lyon en 1712, est mort le 3 janvier 1779.