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Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8466

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Correspondance : année 1772GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 15-16).
8466. — À M. DE LA HARPE.
28 janvier.

Mon cher champion du bon goût, je ne savais pas que vous eussiez été malade : car je ne sais rien dans mon lit, dont je ne sors presque plus. N’y a-t-il pas une place vacante à l’Académie, et ne l’aurez-vous point ? car les arrêts du conseil passent[1], et le mérite reste. Je ne suis pas plus pour les gravures que vous. Ce que j’aime du beau Virgile d’Angleterre, c’est qu’il n’y a point d’estampes. Ne faisiez-vous pas une tragédie ? mais faites donc des actrices. On dit qu’il n’en reste plus que la moitié d’une.

J’aime tout à fait un élan qui expire sous une combinaison[2] ; cela m’enchante. J’avais autrefois un père qui était grondeur comme Grichard[3] ; un jour, après avoir horriblement et très mal à propos grondé son jardinier, et après l’avoir presque battu, il lui dit : « Va-t’en, coquin ; je souhaite que tu trouves un maître aussi patient que moi ; » je menai mon père au Grondeur ; je priai l’acteur d’ajouter ces propres paroles à son rôle, et mon bon homme de père se corrigea un peu.

Faites-en autant aux Précieuses ridicules, faites ajouter l’élan de la combinaison ; menez-y l’auteur, quel qu’il soit, et tâchez de le corriger.

Le vieux malade vous embrasse de tout son cœur.

  1. L’Éloge de Fenelon, par La Harpe, avait été supprimé par un arrêt du conseil ; voyez lettre 8381.
  2. Je croyais ces expressions dans les discours prononcés à l’Académie française le 9 janvier 1772, pour la réception de de Belloy ; mais je ne les y ai pas trouvées. (B.)
  3. Personnage du Grondeur, comédie de Brueys et Palaprat.