Correspondance de Voltaire/1772/Lettre 8466
Mon cher champion du bon goût, je ne savais pas que vous eussiez été malade : car je ne sais rien dans mon lit, dont je ne sors presque plus. N’y a-t-il pas une place vacante à l’Académie, et ne l’aurez-vous point ? car les arrêts du conseil passent[1], et le mérite reste. Je ne suis pas plus pour les gravures que vous. Ce que j’aime du beau Virgile d’Angleterre, c’est qu’il n’y a point d’estampes. Ne faisiez-vous pas une tragédie ? mais faites donc des actrices. On dit qu’il n’en reste plus que la moitié d’une.
J’aime tout à fait un élan qui expire sous une combinaison[2] ; cela m’enchante. J’avais autrefois un père qui était grondeur comme Grichard[3] ; un jour, après avoir horriblement et très mal à propos grondé son jardinier, et après l’avoir presque battu, il lui dit : « Va-t’en, coquin ; je souhaite que tu trouves un maître aussi patient que moi ; » je menai mon père au Grondeur ; je priai l’acteur d’ajouter ces propres paroles à son rôle, et mon bon homme de père se corrigea un peu.
Faites-en autant aux Précieuses ridicules, faites ajouter l’élan de la combinaison ; menez-y l’auteur, quel qu’il soit, et tâchez de le corriger.
Le vieux malade vous embrasse de tout son cœur.
- ↑ L’Éloge de Fenelon, par La Harpe, avait été supprimé par un arrêt du conseil ; voyez lettre 8381.
- ↑ Je croyais ces expressions dans les discours prononcés à l’Académie française le 9 janvier 1772, pour la réception de de Belloy ; mais je ne les y ai pas trouvées. (B.)
- ↑ Personnage du Grondeur, comédie de Brueys et Palaprat.